Mais toutes ces experiences commencaient a porter leurs fruits. Il etait maintenant dans l’ordre des choses que Burl commande et que les autres obeissent. Il etait devenu naturel de considerer que la possession de nourriture ne constituait pas une excuse suffisante pour se cacher jusqu’a l’epuisement complet des provisions. Progressivement, la tribu decouvrait que le but de l’existence n’etait pas de fuir aveuglement au moindre danger, mais de prevoir le danger en question et de reflechir au meilleur moyen de l’eviter.

Des hommes venus d’autres planetes auraient surement ete stupefaits a la vue des gigantesques forets de champignons dores, des vastes plaines de moisissures multicolores parsemees de bosquets de mousses et de levures. Ils se seraient frotte les yeux et bouche les narines en passant au voisinage des mares putrides que longeait la caravane et a la surface desquelles des bulles monstrueuses venaient exploser, empuantissant l’atmosphere.

S’ils avaient ete dotes d’armes aussi primitives que celles de Burl et de ses amis, sans doute se seraient-ils montres aussi craintifs que ces derniers. De plus, leur totale ignorance du mode de vie des insectes les aurait plonges – eussent-ils meme ete convenablement armes – dans des dangers que la tribu avait depuis longtemps appris a craindre et a eviter.

Cette connaissance du milieu ambiant conferait aux membres de la tribu une superiorite ecrasante.

Cependant, rien ne saurait etre parfait dans le monde des hommes, quelle que soit la planete a laquelle ils appartiennent, et il arrivait encore que les amis de Burl, fatigues par le long voyage, renaclent et se plaignent a l’idee d’avancer encore et toujours.

Generalement, un geste du jeune homme vers l’arriere, designant du pouce les nuages rouges montant des terres qu’ils avaient quittees, suffisait a calmer les esprits.

Ce jour-la, un incident dont les consequences auraient pu etre fatales vint prouver aux plus retifs qu’il importait de continuer a avancer coute que coute.

Un enfant s’etait ecarte du groupe des aines. Le sol sur lequel il marchait avait pris une teinte brunatre. En effet, la poussiere rouge virait au brun en se posant. Remuees par les pieds de l’enfant, les spores s’eleverent de nouveau. Tout a coup, le petit garcon se mit a crier et a s’etrangler. Sa mere se precipita pour l’emporter.

Ainsi, pour s’etre posee, la poussiere rouge n’en etait pas moins meurtriere. Si jamais une tempete se levait, les spores se repandraient jusqu’a ce qu’il ne reste plus aucun etre vivant qui ne fut en train d’etouffer, de se debattre et de mourir.

L’enfant ne mourut pas. Il souffrit terriblement. Il serait affaibli pendant longtemps. Afin de poursuivre le voyage, il faudrait desormais le porter a dos d’homme.

Quand la nuit commenca a tomber, la tribu chercha une cache. Elle la trouva au pied d’une sorte de falaise argileuse en surplomb, qui avait autrefois servi de nid a des abeilles fouisseuses : un peu partout, des galeries s’enfoncaient dans la muraille. Dieu merci, elles etaient desertees depuis longtemps.

Tandis que Burl, dont c’etait le tour, assurait la garde de l’abri et la protection des femmes et des enfants, Jon et Dor s’eloignerent a la recherche de provisions fraiches.

Le jeune homme etait d’une humeur massacrante. Il estimait que jouer les sentinelles etait au-dessous de sa condition – meme si c’etait lui qui avait eu l’idee d’instituer ces tours de garde. De plus, la journee avait ete frustrante a bien des egards. La tribu recommencait a se montrer retive. Les femmes grommelaient, les hommes semblaient prets a remettre son autorite en question… Dire qu’ils en arrivaient la ! Apres tout ce qu’il avait fait pour eux !

Certains n’allaient-ils pas jusqu’a lui reprocher l’accident survenu au petit garcon qui gemissait maintenant dans les bras de sa mere ? Comme si, sans lui, ils ne seraient pas deja tous morts depuis plusieurs jours deja !

Tandis que Burl remachait sa ranc?ur, des cris de triomphe eclaterent a proximite. C’etait Jon et Dor qui s’en revenaient, croulant sous leur cargaison de morceaux de champignons comestibles. Eux non plus, ils n’avaient plus peur ! Eux non plus, ils ne tremblaient plus a l’idee de laisser eclater leurs sentiments de triomphe ! Ils avaient trouve de la nourriture et ils voulaient clamer ce haut fait a l’univers tout entier !

Et les femmes, toutes les femmes – Saya comprise –, se precipitaient a leur rencontre, et les accueillaient en poussant elles aussi des clameurs d’allegresse !

Decidement, Burl n’etait plus le seul homme digne de ce nom sur la planete oubliee…

Ces cris de joie pousses par ses compagnons furent la goutte d’eau qui fit deborder le vase.

Ah, c’etait comme ca ? Ah, il n’etait plus qu’un individu parmi les autres ? Eh bien, on allait voir !

Burl grinca des dents et resolut de faire quelque chose de si magnifique, de si colossal, de si totalement stupefiant, qu’il ne pourrait etre imite par personne d’autre. Sa pensee n’etait pas tres claire. Il voulait surtout qu’on l’admire de nouveau, qu’on lui obeisse. Il regardait furieusement autour de lui la nuit qui tombait, il cherchait un exploit, une action d’eclat a realiser immediatement, meme dans l’obscurite.

Et il trouva.

7

C’etait la fin du crepuscule et les nuages viraient lentement au noir. La falaise argileuse contre laquelle la tribu s’etait installee coupait toute visibilite d’un cote. Mais, de l’autre, Burl pouvait voir jusqu’a l’horizon couvert de brume. Des abeilles regagnaient leur ruche en bourdonnant. Parfois, passait une guepe fine et gracieuse dont les ailes vibraient si vite qu’elles etaient invisibles.

Soudain, venant du plus profond de l’ouest rougeoyant, un insecte volant arriva. C’etait un magnifique papillon-empereur aux larges ailes veloutees. Burl le regarda traverser le ciel, se poser delicatement, et disparaitre derriere un massif de champignons si serres qu’ils avaient l’aspect d’une colline.

La nuit tomba completement. Mais Burl fixait toujours le point ou s’etait pose le papillon-empereur. Le silence regnait, ce silence total qui se produit pendant la courte periode ou les animaux diurnes sont caches et ou les nocturnes ne se sont pas encore aventures dehors. Les plantes phosphorescentes luisaient ca et la. Des plaques de champignons luminescents jetaient une faible lueur dans l’obscurite.

Burl s’avanca dans la nuit. Il imaginait le papillon jaune dans sa cachette, lissant delicatement ses pattes fines avant de se reposer jusqu’a l’aube suivante. Il avait note des reperes pour se guider. Une semaine plus tot, son sang se serait glace a la seule idee de faire ce qu’il faisait maintenant.

Le jeune homme traversa le terrain libre devant la falaise. Sans la phosphorescence, il se serait tout de suite perdu. Le lent ecoulement de la pluie nocturne commencait. Le ciel etait absolument noir. C’etait le moment ou les tarentules males partaient a la recherche de leurs femelles et de leurs proies. Un mauvais moment pour aller a l’aventure.

Burl avanca. Il trouva le groupe de champignons. Il chercha a se frayer un passage a travers leurs pedoncules. C’etait impossible : ils etaient trop serres et trop bas. Irrite par cet obstacle, Burl escalada le fourre de cryptogames.

C’etait pure folie. Burl sentait les champignons trembler et ceder sous son poids. Quelque part, dans un vrombissement d’ailes rapides, un insecte s’envola bruyamment. Burl entendit, non loin de lui, le sifflement de gros moustiques. Il continua d’avancer. La masse spongieuse oscilla sous lui. Il titubait plutot qu’il ne marchait. Il tatonnait de sa lance devant lui et haletait un peu.

Soudain, il s’apercut qu’il allait rencontrer le vide. Il s’arreta. Par terre, contre les champignons, quelque chose bougea. Le massif de cryptogames remua. Burl leva sa lance et, l’empoignant a deux mains, il frappa ferocement. La lance toucha quelque chose d’infiniment plus resistant que n’importe quel champignon et s’y enfonca. Puis, la chose transpercee remua tandis que Burl, perdant l’equilibre, tombait sur sa proie.

Il se cramponna fermement a son arme. Sa bouche s’ouvrit pour pousser un cri de triomphe. Mais, en meme temps, il decouvrit la nature de la surface sur laquelle il etait couche et son cri se transforma en un hoquet d’horreur.

Ce n’etait pas sur le corps veloute d’un papillon que Burl avait atterri. Sa lance n’avait pas transperce la chair tendre d’un empereur. Le jeune chasseur venait de rebondir sur le dos large et dur d’un enorme hanneton carnivore. La lance n’avait pas perce la cuirasse de l’insecte : elle avait penetre dans le cuir qui separait la tete du thorax.

La bete geante s’envola. Elle emporta Burl, toujours cramponne a sa lance avec l’energie du desespoir. Le

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