Ce lycoperdon – ou vesse-de-loup – avait a peu pres soixante centimetres de diametre. Sa partie principale etait spherique. Une pousse de pres de quarante centimetres depassait du sol. La sphere, d’un rouge tres vif, etait recouverte d’une peau parcheminee et tendue. Il y avait une violente pression interne, mais la peau etait solide et ne cedait pas. Pourtant, la poussee inexorable de la vie qu’elle renfermait exigeait que cette enveloppe cede.

Ce champignon-la se trouvait sur une petite colline, a pres d’un kilometre de l’endroit ou Burl et ses compagnons festoyaient. Sa peau rouge etait tendue a craquer. Soudain, elle s’ouvrit avec un bruit d’explosion. Les spores seches qu’elle contenait furent projetees en l’air comme la fumee d’un obus et monterent vers le ciel a une hauteur de six metres. Elles formerent un nuage de fumee rougeatre derivant avec la brise.

Une abeille qui regagnait sa ruche penetra dans ce nuage. Pendant la duree d’une demi-douzaine de battements d’aile, il n’arriva rien. Puis l’abeille vira brusquement. Son bourdonnement profond devint plus aigu. Elle fut saisie de mouvements convulsifs, perdit l’equilibre et tomba lourdement sur le sol. Ses pattes s’agiterent. Ses ailes battirent furieusement. Son corps se tordit dans un paroxysme de douleur. Elle lanca son dard dans le vide.

Au bout de quelques minutes, l’abeille mourut.

Le nuage rouge se deplaca lentement au-dessus des champignons, des levures et des moisissures. Il passa sur un groupe de fourmis au travail. Elles furent saisies du meme malaise que l’abeille. Elles se tordirent, remuerent convulsivement les pattes et moururent a leur tour.

Le nuage de spores descendait et se posait a mesure qu’il avancait. Au bout de quatre cents metres, il avait presque completement rejoint le sol.

Mais a huit-cents metres de la, un autre jaillissement de poussiere s’eleva vers le ciel. A quatre cents metres, un autre nuage monta en panache.

Plus loin, presque en meme temps, deux autres champignons cracherent leurs spores.

Les etres vivants qui respiraient la poussiere rouge se tordirent dans des souffrances atroces et moururent.

Pendant ce temps, Burl et ses compagnons mangeaient, bavardaient a voix basse et s’emerveillaient de ce fait remarquable : des hommes se nourrissaient de gibier qu’ils avaient tue de leurs propres mains.

6

Le festin avait eu lieu a point nomme : deux jours plus tard, banqueter et se rejouir aurait ete hors de question.

Quarante-huit heures apres la mort de la clotho, Burl et ses compagnons avaient en effet touche le fond du desespoir – emotion que les autres habitants de la planete oubliee etaient trop stupides pour eprouver.

Dans un univers desole, la seule superiorite des hommes sur les insectes residait peut-etre dans cette faculte de comprendre qu’il y avait danger – et de discerner d’ou il venait.

C’etait la nuit. L’obscurite regnait sur les basses terres et sur la maigre centaine de kilometres carres que les amis de Burl connaissaient. Car la planete avait beau posseder des continents, la tribu n’avait guere explore plus que la superficie d’un canton. Elle avait beau etre dotee d’oceans, les hommes n’avaient jamais cotoye que des ruisseaux. Quoi d’extraordinaire a cela ? Qui donc, apres avoir trouve un abri sur, aurait ete assez fou pour le quitter ? Qui encore, ayant son content de nourriture, aurait eu la demence de gagner des regions ou, peut-etre, il ne poussait rien ?

Burl etait l’exception. Lui seul avait voyage – bien contre son gre, d’ailleurs – vers des contrees lointaines. Lui seul etait en mesure d’evaluer dans toute son ampleur l’etendue du nouveau peril qui les menacait.

Ce danger, contre lequel il ne semblait pas exister de remede, c’etait l’explosion des lycoperdons rouges.

Bien sur, il ne s’agissait la que d’un phenomene saisonnier. L’epoque de maturation terminee, la mort rouge s’endormirait d’elle-meme jusqu’a l’annee suivante. Mais cela, personne ne pouvait le deviner.

Seul de sa tribu, Burl ne dormait pas. Enveloppe de sa magnifique cape de velours, sa lance a portee de la main, ses antennes de papillon sur la tete, il veillait au milieu de ses congeneres qui s’agitaient dans un sommeil hante de cauchemars. Du plafond de nuages bas, l’habituelle pluie nocturne tombait en gouttes paresseuses.

La nuit etait peuplee de bruits divers : lourds battements d’ailes des phalenes, vrombissement sourd des hannetons, vacarme imbecile des sauterelles apparemment desireuses de rappeler leur existence a leurs predateurs, crissements joyeux des blattes occupees a gambader dans les bosquets de champignons comestibles.

Rien ne semblait avoir change sur la planete oubliee. Il est vrai que, la nuit, les lycoperdons n’explosaient pas. Mais demain, des l’aube…

Burl se revoltait a l’idee de l’ineluctable. Il avait recemment eprouve de trop grandes satisfactions pour etre encore capable d’accepter placidement la fatalite.

Oui, mais que faire ? La veille, on avait vu jusqu’a cinq vesse-de-loup exploser a proximite, presque coup sur coup, projetant dans l’air ambiant leur panache de mort. Et les nouvelles s’etaient faites plus alarmantes au fur et a mesure que le temps passait.

Un gamin etait accouru, hors d’haleine pour raconter comment il avait assiste a l’agonie d’une araignee chasseresse, asphyxiee par la poussiere rouge. Lana etait tombee par hasard sur un gigantesque hanneton- rhinoceros, le ventre en l’air, deja devore par les fourmis. Un des hommes, qui s’etait aventure assez loin, avait vu perir dans la poussiere rouge un papillon aux ailes d’une envergure de dix metres. Cori, elle, s’etait trouvee la au moment ou un nuage rouge s’etait pose lentement sur une colonne de fourmis-ouvrieres. Elle avait assiste a leur mort.

Enroule dans sa cape, les antennes phosphorescentes luisant faiblement au-dessus de sa tete, Burl se creusait les meninges, enrageant de ne pas trouver de solution au probleme qu’il s’etait jure de resoudre.

Sans s’en rendre compte, Burl avait endosse la charge de reflechir pour toute la tribu. Il n’avait aucune raison de le faire. Mais c’etait devenu naturel pour lui, maintenant qu’il avait appris a penser. Pourtant, ses efforts de reflexion etaient encore frustes et penibles.

Soudain Saya s’eveilla en sursaut et regarda autour d’elle. Il n’y avait eu aucune alerte mais seulement les bruits nocturnes habituels : meurtre lointain et chants discordants. Saya se leva silencieusement. Ses longs cheveux flottaient autour d’elle. Les yeux ensommeilles, elle se rapprocha de Burl. Elle se laissa tomber sur le sol, tout contre lui. Bientot sa tete s’inclina et reposa sur l’epaule de Burl. Elle dormait de nouveau.

Cet acte simple fut peut-etre le catalyseur qui fournit a Burl la reponse a ses questions.

Quelques jours plus tot, le jeune homme s’etait rendu dans une region lointaine ou la nourriture abondait. Sur le moment, il avait meme forme le projet d’y emmener Saya. Les difficultes qu’il avait rencontrees sur le chemin du retour lui avaient fait perdre de vue cette idee. D’ailleurs, il s’en souvenait maintenant, il avait remarque la-bas egalement la presence de lycoperdons rouges. Quoi qu’il en soit, le contact de la tete de Saya contre son epaule lui avait rappele son plan initial. Et c’est alors qu’il eut un trait de genie.

Brusquement, il forma le projet de faire un voyage qui n’ait pas pour seul but la recherche de la nourriture. Jusque-la, les terres ou vivait la tribu avaient ete exemptes de lycoperdons. Il devait exister d’autres endroits ou ne menacait pas la mort rouge. On allait partir a la decouverte de ces nouvelles regions. On irait loin, plus loin que jamais personne n’etait alle.

Lorsque l’aube parut, Burl n’avait pas ferme l’?il. Il avait fait des plans. Il etait tout, autorite et decision.

Appuye sur sa lance, il dicta ses ordres. Il parla fermement, d’une voix forte. Ses compagnons timides lui obeirent docilement. Ils ne ressentaient encore aucun loyalisme a son egard. Ils n’avaient aucune confiance dans ses decisions. Mais ils commencaient a associer l’obeissance a des choses agreables. Et, avant tout, a la nourriture.

Avant que le jour ne se soit tout a fait leve, ils preparerent des chargements de champignons comestibles et de viande de fourmi. Et la tribu prit la route. C’etait une chose remarquable que des humains quittent leur cachette alors qu’ils avaient encore de quoi manger, mais Burl fut inflexible et menacant.

Sur ses exhortations, trois hommes s’armerent de lances. Burl persuada les deux autres de porter des gourdins.

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