du grillon. Il esperait y trouver une arme. Dik et Tet faisaient semblant de se battre entre eux avec les massues qui leur avaient permis de tuer les fourmis. Le vieux Jon soufflait et pantelait. Tama gemissait comme toujours, mais tout bas car elle n’osait pas faire de bruit en plein jour. Les autres attendaient passivement que Burl les conduise plus loin.
Burl fixa sur ses compagnons un regard furieux.
Les autres baisserent les yeux. Maintenant, ils se souvenaient qu’ils avaient eu faim et que Burl leur avait trouve de quoi manger, qu’ils avaient ete paralyses par la peur et que Burl leur avait sauve la vie. Pour le moment, ils avaient le sentiment de dependre de lui. Plus tard, cela changerait. Ils tendraient a devenir independants, ils apprendraient a se diriger eux-memes. Peut-etre Burl leur apprendrait-il a se passer de lui. Mais, pour l’instant, il lui etait agreable d’etre admire par la tribu. Il etait brusquement conscient du fait qu’il allait etre obei. Il inventa donc un ordre auquel on puisse obeir.
— Je porte des armes acerees, expliqua-t-il. Certains d’entre vous en ont trouve. Maintenant, tout le monde doit en porter pour pouvoir se battre !
Sans mot dire, ils se disperserent pour aller a la recherche des armes. Saya allait en faire autant. Mais Burl la retint. Il ne savait pas trop pourquoi. Peut-etre parce que l’egalite des sexes dans la lachete allait cesser et que la vanite de Burl le poussait a assumer la defense de Saya. Il n’analysait pas ses sentiments. Il ne voulait pas que Saya le quitte. Il l’en empechait.
La tribu se dispersa donc. Dor partit avec sa femme pour l’aider a trouver une arme. Jak suivit la sienne avec inquietude. Jon alla craintivement vers l’endroit ou etaient enterres les restes du grillon qui pourraient peut- etre lui fournir un instrument de defense. Cori etendit ses plus jeunes enfants aux pieds de Burl avant de partir peureusement a la recherche d’une lance ou d’une massue.
Un cri fit se retourner tout le monde. Un garcon d’une dizaine d’annee, le plus jeune frere de Dik, fige sur place par la terreur, fixait quelque chose qui etait sorti d’un fourre.
Il s’agissait d’un animal d’un vert delave, a la petite tete et aux yeux enormes. Il se tenait dresse comme un homme. Et sa taille depassait celle d’un homme de quelques centimetres. Son ventre s’enflait gracieusement. C’etait une jeune mante religieuse. Elle se trouvait a cinquante metres de Burl, mais a moins de dix metres du garcon.
Ce dernier lui faisait face, paralyse par l’horreur.
La bete aussi se tenait completement immobile. Ses enormes bras ornes de piquants etaient tendus dans un geste de benediction hypocrite. Elle attendait que sa proie s’approche ou tente de s’enfuir. Si le garcon fuyait, elle se precipiterait a sa poursuite. S’il approchait, les pattes crochues s’abaisseraient en un eclair, serreraient etroitement son corps et le transperceraient. Apres quoi elle commencerait son repas sans attendre qu’il soit mort.
Le petit groupe des humains n’osait pas faire un geste. On peut se demander s’ils etaient remplis de pitie pour la victime ou plonges dans un abime de desespoir a la vue de la jeune mante. La presence d’une mante religieuse presque adulte signifiait qu’il y en aurait bientot des centaines d’autres. Si on arrivait a echapper a la progeniture de la tarentule, on serait certainement devores par ces monstres verts qui levaient les bras comme pour benir avant de tuer.
Aucun des hommes qui se trouvaient la ne pouvait imaginer une parade a la ferocite d’une mante religieuse. Mais Burl, lui, avait fait la veille une experience precieuse et dont il se souvenait a cet instant precis. Il avait rencontre une mante alors qu’il etait seul. Et il l’avait deliberement attaquee. Il decida de se servir de la meme tactique. A la stupefaction de la tribu, le jeune homme courut vers la mante. Il brandit le corps d’une fourmi tuee par Tet quelques minutes plus tot et le lanca violemment au dela du garcon paralyse par la peur.
Burl avait vise la mante. Son coup porta. La fourmi etait lourde. La mante, dressee dans son attitude spectrale, fut a demi renversee. Or, les insectes sont incapables de reflechir. Quelque chose avait atteint la sinistre creature. Ses bras tournoyerent ferocement pour se defendre. Elle lutta contre la fourmi morte avec une frenesie qui touchait a la folie furieuse.
Des que l’attention de l’insecte s’etait detournee de lui, le jeune garcon s’etait enfui a toutes jambes.
Plusieurs centaines de metres plus loin, sur la montagne, la tribu se rassembla autour de Burl. Il etait leur point de ralliement. Cori avait donne l’exemple. Elle avait laisse un de ses bebes a Burl et lorsque celui-ci avait precipitamment quitte l’endroit ou ils etaient, Saya avait instinctivement ramasse l’enfant avant de s’enfuir. Bien entendu, elle avait rejoint Burl. Et Cori avait rejoint Saya lorsque tout danger immediat avait ete ecarte.
De la pente ou les humains se trouvaient maintenant, le fond de la vallee semblait deja plus lointain. La brume commencait a le recouvrir.
Burl demanda brutalement a ses compagnons :
— Ou sont les objets pointus pour vous battre ?
Les hommes se regarderent avec gene. Jon bredouilla une protestation. Ce fut la vieille Tama qui, de sa voix aigue, exprima le sentiment general :
— Voila ou Burl nous a entraines ! La ou nous etions auparavant, il n’y avait que la poussiere rouge. Mais ici il y a une tarentule avec tous ses petits. Et il y a aussi une nouvelle couvee de mantes religieuses. Nous pouvons eviter la poussiere rouge. Mais comment pourrons-nous echapper a la mort qui nous attend dans la vallee ? Burl, tu nous as convaincus de quitter notre refuge et tu nous as conduits ici pour y mourir !
Burl les regarda tous d’un air meprisant. Sa resolution ne venait pas de son courage, mais de son besoin de susciter l’admiration. L’admiration des autres etait une sensation merveilleuse. Plus on etait admire, mieux c’etait. Il etait furieux que l’on mette en doute sa superiorite.
— Moi, declara-t-il avec hauteur, je ne vais pas rester ici. Je vais aller la ou il n’y a ni araignees ni mantes religieuses. Viens, Saya !
Il tendit la main a Saya. Elle rendit l’enfant a Cori et suivit Burl avec confiance. Burl s’eloigna d’un air noble, serrant la main de Saya dans la sienne. Ils escaladerent le flanc de la montagne. Quoi de plus naturel ? Dans la vallee, il y avait des araignees et des mantes en quantites telles qu’y rester signifiait la mort. Il fallait donc aller ailleurs.
Tel fut l’evenement qui changea toute l’histoire de l’humanite sur la planete oubliee. Jusqu’alors, peut-etre avait-il existe d’autres individus qui avaient essaye d’etre des chefs, un peu a la maniere de Burl. Certains hommes avaient pu apprendre a etre courageux. Peut-etre meme avaient-ils essaye de faire emigrer leurs congeneres vers des terres plus hospitalieres. Mais jusqu’au jour ou Burl eut l’energie d’entrainer une tribu humaine hors d’une vallee remplie de nourriture pour donner l’assaut a une montagne et marcher vers l’inconnu, rien d’utile n’avait ete fait. Jusque-la, les humains n’avaient pas reussi a depasser l’etat de gibier traque, a la merci de betes monstrueuses. A la merci des insectes qui, par une cruelle ironie du sort, avaient ete implantes sur cette planete pour que les hommes puissent l’habiter.
Burl etait le premier homme a conduire d’autres hommes vers les montagnes.
9
Le soleil qui brillait au-dessus de la planete oubliee etait en fait tres proche. Il brillait au-dessus du banc de nuages et leur donnait un eclat blanc eblouissant. Il eclairait les cretes des montagnes qui emergeaient de la brume. Les sommets etaient rechauffes par ses rayons. Et, en depit de l’altitude, il n’y avait de neige nulle part. En revanche, il y avait des vents. Et le ciel etait tres bleu. Au bord du plateau on aurait cru que les pentes des montagnes descendaient dans une mer de lait. Les grandes ondulations de la brume paraissaient des vagues qui s’avancaient avec une grande lenteur vers les cotes. Parfois, elles semblaient se briser comme au ralenti contre les parois rocheuses. Parfois aussi, elles paraissaient remonter sur les pentes plus douces, comme la mer avancant sur une plage.
Tout etait different sur les hautes terres. Cette partie de la planete sans nom avait ete ensemencee en deux occasions distinctes comme les plaines du bas. Une premiere fois, on avait seme des bacteries, des moisissures et des lichens afin de morceler les roches et d’en faire de la terre fertile. Et une autre fois, on avait seme des graines et des ?ufs d’insectes, toutes les formes de vie qui pouvaient se nourrir des leur eclosion. Seulement, ici, sur les montagnes, les conditions climatiques differentes avaient determine la survivance d’autres plantes et d’autres animaux que sur les basses terres.