il resta eveille longtemps encore. Les etoiles lui paraissaient trop etranges pour etre comprises. Il reflechissait aux arbres et a l’herbe. Il decida que cet univers nouveau etait si loin de ce qu’il avait connu jusqu’alors qu’il ne pouvait pas le juger. Mais il ressentait pourtant une intense satisfaction d’y avoir amene ses compagnons.
La derniere chose a laquelle le jeune homme pensa avant de sombrer dans le sommeil fut cet aboiement lointain entendu dans la nuit. C’etait une experience tout a fait nouvelle. Et pourtant son instinct disait a Burl que c’etait un bon presage.
Il s’eveilla le premier. Dehors, une lumiere grise et froide precedait l’aube. Le jeune homme regarda les arbres et fut surpris de constater qu’un cote en etait brillamment eclaire tandis que l’autre restait dans l’ombre. Il rampa dehors.
Il faisait un froid mordant. C’etait ce froid qui empechait les insectes geants de vivre sur la montagne. Mais Burl, lui, trouvait vivifiant l’air qu’il respirait.
Il chercha avec curiosite la source de cette etrange lumiere qui n’eclairait les arbres que d’un cote. Il decouvrit le soleil. Celui-ci apparaissait a peine a l’horizon. Burl, clignant des yeux, se rendit compte que l’astre montait. Le ciel devenait plus clair. Le jeune homme eut l’idee de regarder au-dessus de sa tete : les etoiles, qui l’avaient tellement intrigue, avaient presque disparu.
Burl courut appeler Saya qui se leva aussitot.
Les autres membres de la tribu s’eveillerent a leur tour. Un par un, ils sortirent de la caverne pour assister a leur premier lever de soleil. Bouche bee, hommes et femmes fixaient l’astre qui n’en finissait pas de monter. Il parut se liberer de l’horizon et voguer de plus en plus haut.
Les enfants se plaignirent du froid. Ils se serrerent contre leurs meres qui les entourerent de leurs pagnes. Une fois rechauffes, les enfants contemplerent a leur tour le soleil clair et le jour resplendissant. Tres vite, ils decouvrirent qu’une chaleur agreable leur venait de ce grand corps brillant dans le ciel. Ils inventerent aussitot un jeu. Ce jeu consistait a rester dans un endroit ombrage jusqu’a ce qu’on frissonne de froid, puis a courir de nouveau au soleil.
Au cours de ce premier matin passe sur les hautes terres, les hommes utiliserent une partie de leurs provisions. Ces vivres ne dureraient pas toujours. Tout en mangeant, Burl reflechissait d’un air sombre. Bientot, il exigea l’attention de ses compagnons. Ceux-ci se trouvaient tres heureux et, pour l’instant, ne ressentaient aucune envie d’etre commandes. Mais Burl, lui, eprouvait le besoin d’etre admire.
Il parla avec brusquerie :
— Nous ne voulons pas retourner dans les basses terres. Il faut que nous trouvions de quoi manger de facon a pouvoir rester toujours ici. C’est aujourd’hui qu’il faut que nous trouvions a manger.
Burl prenait l’initiative. Il creait un lien entre les besoins de son peuple et l’obeissance qu’il lui demandait. Il montrait ainsi qu’il avait l’instinct du commandement. Une dictature ne commence pas autrement.
Les hommes qui n’avaient pas fini de manger grognerent mais ne penserent pas a resister. Ils avaient appris a associer les ordres de Burl avec une succession de choses agreables. La tribu prenait l’habitude d’obeir. C’etait pourtant une obeissance encore fragile.
Le repas fini, Burl prit la tete de l’expedition. Les autres le suivirent en ordre disperse. Ils s’arreterent tous a un ruisseau et le contemplerent avec un profond etonnement. Il n’y avait ni sangsues, ni algues verdatres, ni ecume repugnante. L’eau etait limpide ! Burl eut l’audace de la gouter. Il etait ainsi le premier homme de sa race a boire de l’eau potable sur cette planete. De l’eau qui ne soit pas souillee par son passage a travers les moisissures et les rouilles.
Dor but apres lui. Jak et Cori l’imiterent. Puis ils firent boire les enfants. La vieille Tama elle-meme se risqua a essayer ce nouveau breuvage. Apres quoi elle se plaignit de sa voix aigue de ce que Burl ne les ait pas conduits plus tot sur les hautes terres. Tet et Dik, une fois persuades que le ruisseau ne contenait aucun animal meurtrier, s’amuserent a s’eclabousser joyeusement. Au cours de ce jeu, Dik glissa et s’assit brutalement par terre. Il ecrasa ainsi une substance blanche qui ceda sous lui. Il se releva et regarda avec inquietude ce qu’il venait d’ecraser. C’etait peut-etre une boue dangereuse.
Le jeune homme poussa un cri joyeux. C’etait un lit de champignons qu’il avait ecrase. Ils etaient petits, propres et appetissants.
Burl les renifla et, finalement, en gouta un. Il s’agissait d’un champignon comestible parfaitement normal qui avait la dimension des champignons terrestres. Sur les hautes terres, les cryptogames poussaient a l’ombre dans un sol tres riche mais ils n’avaient pas pu devenir des monstres.
Burl devora le champignon. Puis il se composa soigneusement un visage pour faire part de sa decouverte a ses compagnons. Il leur fit un petit discours. Dans cet univers merveilleux ou il les avait conduits, la tribu ne trouverait pas d’ennemis dangereux. Et, chose excellente, il y avait de la nourriture. Seulement cette nourriture etait de petite dimension. Il faudrait se nourrir avec des petits champignons et bien regarder pour en trouver d’autres semblables a celui qu’il venait de manger.
Les hommes prirent un air dubitatif. Cependant ils imiterent Burl. Avec un profond etonnement, ils se rendirent compte que les petits champignons etaient bien ceux qu’ils avaient l’habitude de manger, mais en dimensions reduites. Ils avaient la meme saveur que les geants, mais ils n’etaient ni durs ni filandreux. On pouvait les avaler tout entiers au lieu d’en couper des morceaux. Ils fondaient dans la bouche. La vie etait vraiment delectable dans cet endroit ou Burl les avait amenes ! Il fallait avouer que Burl etait extraordinaire !
Les enfants de Cori decouvrirent un hanneton sur une feuille et le reconnurent. Quand ils virent qu’au lieu d’etre plus grand qu’un homme il n’avait que deux centimetres et qu’il etait sans defense dans leurs mains, ils furent enthousiasmes. Dorenavant, ils suivraient Burl partout avec la conviction qu’il ne pouvait que leur apporter du bonheur.
Cette opinion pouvait ne pas toujours etre justifiee. Mais Burl se garda bien de les decourager.
Ce fut vers le milieu de la journee que les hommes firent leur plus grande decouverte.
Les compagnons de Burl s’etaient fraye un chemin a travers une etendue de buissons epineux. Ils n’avaient jamais vu d’epines et elles leur inspiraient une grande mefiance. Quant aux mures noires et brillantes, ils decouvriraient plus tard qu’elles etaient comestibles. Ce jour-la, ils n’oserent pas y toucher. Ils etaient encore au milieu des ronces quand ils entendirent des bruits au loin.
Le son etait compose de bruits de tonalites differentes. Certains cris etaient bruyants et brefs. D’autres plus longs et plus sourds. Les hommes se demanderent de quoi il s’agissait. Des etres humains auraient pu produire ces sons. Ce n’etaient pas des cris de douleur. Ce n’etait pas non plus un langage. On aurait dit qu’il s’agissait d’une joyeuse excitation. Et Burl et ses compagnons ne connaissaient pas d’excitation parmi les insectes, mais seulement de l’horreur et de la frenesie.
Burl avait reconnu ces bruits pour les avoir entendus la nuit precedente. Il etait attire par eux. Il les aimait.
Il ouvrit hardiment la marche vers le vacarme. Ils firent un kilometre pour sortir des ronces. Saya suivait Burl de pres. Les autres trainaient en arriere. Tama se plaignait amerement, repetant qu’il n’etait pas necessaire d’aller au-devant de ce bruit qui ne pouvait signifier que du danger.
Enfin, ils deboucherent dans un espace nu et pierreux qui dominait un amphitheatre herbeux. C’etait du centre de cet amphitheatre que venait le tumulte.
Un groupe d’animaux s’attaquait joyeusement a quelque chose que Burl ne pouvait voir. Ces animaux etaient des chiens. Ils aboyaient avec entrain. Ils jappaient et grondaient. Ils s’amusaient beaucoup.
Un des chiens apercut les hommes. Il resta cloue sur place et poussa un aboiement. Les autres se retournerent et virent aussi les hommes. Le tumulte cessa brusquement.
Le silence se fit. L’etonnement etait grand de part et d’autre.
Les hommes etaient stupefaits de l’aspect de ces animaux a quatre pattes. Toutes les betes qu’ils avaient rencontrees jusque-la avaient au moins six pattes. Les araignees en possedaient huit. Et puis les chiens n’avaient pas de mandibules. Ils n’avaient pas d’ailes. Ils ne reagissaient pas du tout comme des insectes.
Quant aux chiens, ils voyaient des hommes pour la premiere fois. Chose beaucoup plus importante, ils les sentaient. Ils percevaient la difference extraordinaire entre l’odeur de l’insecte et celle de l’homme. C’etait la premiere fois depuis des centaines de generations que les chiens rencontraient un animal a sang chaud. Ils n’eurent pas peur. Ils ressentirent une curiosite fascinee. Ces etres avaient une odeur sans precedent. Et meme une odeur extraordinairement agreable.
Les chiens contemplaient les hommes avec la stupeur la plus profonde, reniflant, penchant la tete de cote. Ils ne ressentaient aucune hostilite. L’un d’eux poussa une sorte de gemissement, parce qu’il ne comprenait