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Chose curieuse, la presence des chiens sur la montagne et leur survivance etaient dues a une question de topographie.
A l’est, le plateau qui s’elevait au-dessus des nuages montait en pente raide depuis la vallee ou habitait la tarentule. A l’ouest, au contraire, la pente etait beaucoup plus douce. Les forets de champignons suivaient les nuages le long de cette pente presque jusqu’au sommet. C’est pourquoi il arrivait que des insectes geants s’egarent sur le plateau.
Naturellement, ils ne pouvaient pas y vivre. Ils n’auraient pas trouve assez de nourriture pour satisfaire leur insatiable appetit. Et la nuit, il faisait trop froid pour eux. Parmi ceux qui s’egaraient sur la montagne et se promenaient un instant au soleil, certains finissaient par regagner leurs forets de champignons. Mais la plupart restaient figes par le froid. Leur premiere nuit sous les etoiles les faisait tomber dans une sorte de torpeur. Au cours de la seconde journee, ils retrouvaient une activite partielle. Bien peu se remettaient du froid de la deuxieme nuit. Aucun ne conservait sa combativite.
C’etait en mangeant ces insectes egares que les chiens avaient survecu.
Ils descendaient certainement des chiens de
Le nombre des chiens etait reste limite et leur intelligence etait tres vive. C’etait la condition meme de leur survivance. En effet, la proportion des insectes qui s’aventuraient sur la montagne restait toujours la meme. Lorsqu’il y avait trop de chiens, leurs attaques contre les betes geantes se faisaient trop tot. Pousses par la faim, ils n’attendaient pas que la ferocite des monstres ait diminue. Alors, le quota des chiens etait ramene a la norme par la ferocite meme du combat. Il se produisait aussi une selection qui conservait seulement les chiens trop intelligents pour attaquer inconsiderement.
Bref, les animaux qui etaient en train de contempler les hommes de leurs yeux vifs et interesses appartenaient a une race tres saine. Ils avaient appris a survivre. Ils ne commettaient pas d’imprudences, mais ils savaient montrer du courage dans leurs combats contre les insectes geants. Ils ne craignaient meme pas les araignees, a moins qu’elles ne soient trop recemment montees des basses terres.
Burl vit immediatement que ces animaux ne se comportaient pas avec la ferocite aveugle des insectes. Ils observaient, ils reflechissaient. Ils ressemblaient etonnamment aux hommes. Les insectes, eux, n’examinaient jamais rien. Ils s’enfuyaient ou ils attaquaient. Ils se defendaient contre un ennemi, ou se jetaient comme des forcenes sur une proie. Les chiens ne faisaient ni l’un ni l’autre. Ils reniflaient et ils attendaient.
Burl lanca un ordre a ses compagnons :
— Restez ou vous etes !
Le jeune homme descendit lentement dans l’amphitheatre. Saya le suivit aussitot. Les chiens s’ecarterent avec circonspection. Mais ils leverent le museau et reniflerent. Ils reniflerent longuement, voluptueusement. L’odeur de l’espece humaine etait agreable. Des centaines de generations de chiens avaient vecu sans la sentir. Mais ils avaient ete precedes par des milliers d’autres generations pour qui l’odeur de l’homme etait une necessite.
Burl s’approcha de l’objet que les chiens avaient attaque. La proie gisait sur l’herbe, palpitant peniblement. Il s’agissait de la larve d’un de ces phalenes bleu azur qui, a la nuit tombee, deploient des ailes de trente metres d’envergure. Le moment de sa metamorphose etait proche et elle avait voyage a l’aveuglette pour trouver un endroit ou elle pourrait filer son cocon en securite. Elle etait arrivee dans un univers nouveau, au-dessus des nuages. Ses reserves de graisse l’avaient un peu protegee du froid, mais les chiens l’avaient decouverte alors qu’elle rampait au hasard.
Burl reflechit. Il avait vu des guepes piquer ces larves en un point particulier, marque par une touffe de poils bruns.
Burl leva sa lance et transperca ce point precis. La bete mourut aussitot, sans agonie. Le jeune homme coupa de la viande pour ses compagnons. Les chiens, suffisamment nourris, n’avaient pas faim. Ils n’intervinrent pas. Burl et Saya emporterent la viande pour le reste de la tribu. En cours de route, Burl passa a moins de deux metres d’un chien. Ce dernier le regarda avec une grande intensite. Son expression etait melancolique. L’animal s’efforcait desesperement de comprendre ce que signifiait l’odeur de Burl.
L’homme se retourna et parla au chien du ton dont on s’adresse a un egal.
— J’ai tue cette larve, dit-il. Je n’en ai pris qu’une partie. Tu peux aller manger le reste.
Burl et ses compagnons se partagerent la viande qu’il avait rapportee. Les chiens festoyerent de ce qu’il leur avait laisse. Bientot ils revinrent. Ils n’avaient pas de raison d’etre hostiles. Ils avaient mange. Les humains ne leur faisaient pas de mal. Et l’attrait qu’ils leur inspiraient montait des sources les plus profondes de la race canine.
Peu a peu, les chiens se rapprocherent des humains. Ils etaient fascines. Et les hommes etaient fascines a leur tour. Sous le regard intense des chiens, les enfants eux-memes se sentaient flattes – et prets a se montrer amicaux.
Saya avait plus de viande qu’elle n’en desirait. Elle jeta un coup d’?il aux membres de la tribu. Ils avaient tous de quoi manger. Elle lanca un morceau de viande a un chien. Il s’ecarta d’un bond, puis renifla l’endroit ou le morceau etait tombe. Un chien est toujours capable de manger. Il avala le morceau.
— Je voudrais bien que tu nous parles, dit Saya avec espoir.
Le chien remua la queue.
— Tu ne nous ressembles pas, continua la jeune fille, mais tu fais comme nous, pas comme les monstres.
Le chien jeta un regard expressif sur la viande que Burl tenait a la main. Burl la lui jeta. Le chien l’attrapa au vol, l’avala, remua la queue et se rapprocha. C’etait pour les humains une action tout a fait incroyable de la part d’un animal. Mais, sur cette planete, les chiens et les hommes etaient de la meme race. Sur ce monde oublie, ils etaient les seuls animaux a sang chaud. Et ils etaient conscients des liens que tissait cette parente.
Burl se leva alors et parla poliment au chien. Il n’aurait jamais eu l’idee de s’adresser ainsi a un insecte. Mais il traita le chien comme s’il s’etait agi d’un homme. Il lui parla meme avec moins d’arrogance qu’a un de ses compagnons car, vis-a-vis des autres membres de la tribu, il etait oblige d’affirmer sans cesse sa superiorite.
— Nous retournons a notre caverne, annonca-t-il. Peut-etre que nous nous reverrons.
Mais, quand le jeune chef ramena la tribu a l’abri dans lequel ils avaient passe la nuit precedente, les chiens suivirent. Ils marchaient en encadrant les hommes. Ils obeissaient ainsi a un instinct profond que rien ne venait contrarier. Si un Terrien avait ete la pour observer cette scene, il aurait pense qu’un groupe d’hommes venait de faire une promenade avec une meute de chiens. Tout le monde etait content. Tout le monde s’entendait bien.
Cette nuit-la comme la nuit precedente, Burl alla contempler les etoiles. Cette fois, Saya prit un air degage pour l’accompagner. Quand les jeunes gens sortirent de leur abri, ils surprirent un mouvement dans l’ombre. Un chien se leva, s’etira longuement et bailla. Il accompagna Burl et Saya dans leur promenade. Ils lui parlerent. Le chien parut content. Il remua la queue.
Au lever du jour, les hommes trouverent les chiens couches devant la porte de la caverne. Ils attendaient que les humains sortent. Ils s’etaient mis dans la tete que les hommes allaient faire une longue et agreable promenade dans laquelle ils les accompagneraient. C’etait un plaisir tout nouveau qu’ils ne voulaient pas manquer. Apres tout, du point de vue chien, les humains sont destines, entre autres choses, a vous faire faire de longues promenades.
C’est pourquoi, ce matin-la, les chiens accueillirent les hommes tres cordialement et en remuant la queue.
Les chiens jouerent un grand role dans l’adaptation de la tribu a sa vie sur le plateau. Leur amitie completait