Quand ils arriverent au bout du vallon, au bord de l’abime, ils apercurent un petit sentier qui descendait le long de la falaise, et sous eux, entre la mer et le pied de la montagne, a mi-cote a peu pres, un surprenant chaos de rochers enormes, ecroules, renverses, entasses les uns sur les autres dans une espece de plaine herbeuse et mouvementee qui courait a perte de vue vers le sud, formee par les eboulements anciens. Sur cette longue bande de broussailles et de gazon secouee, eut-on dit, par es sursauts de volcan, les rocs tombes semblaient les ruines d’une grande cite disparue qui regardait autrefois l’Ocean, dominee elle-meme par la muraille blanche et sans fin de la falaise.

«Ca, c’est beau», dit en s’arretant Mme Rosemilly.

Jean l’avait rejointe, et, le c?ur emu, lui offrait la main pour descendre l’etroit escalier taille dans la roche.

Ils partirent en avant, tandis que Beausire, se raidissant sur ses courtes jambes, tendait son bras replie a Mme Roland etourdie par le vide.

Roland et Pierre venaient les derniers, et le docteur dut trainer son pere, tellement trouble par le vertige, qu’il se laissait glisser, de marche en marche, sur son derriere.

Les jeunes gens, qui devalaient en tete, allaient vite, et soudain ils apercurent, a cote d’un banc de bois qui marquait un repos vers le milieu de la valleuse, un filet d’eau claire jaillissant d’un petit trou de la falaise. Il se repandait d’abord en un bassin grand comme une cuvette qu’il s’etait creuse lui-meme, puis tombant en cascade haute de deux pieds a peine, il s’enfuyait a travers le sentier, ou avait pousse un tapis de cresson, puis disparaissait dans les ronces et les herbes, a travers la plaine soulevee ou s’entassaient les eboulements.

«Oh! que j’ai soif!» s’ecria Mme Rosemilly.

Mais comment boire? Elle essayait de recueillir dans le fond de sa main l’eau qui lui fuyait a travers les doigts. Jean eut une idee, mit une pierre dans le chemin; et elle s’agenouilla dessus afin de puiser a la source meme avec ses levres qui se trouvaient ainsi a la meme hauteur.

Quand elle releva sa tete, couverte de gouttelettes brillantes semees par milliers sur la peau, sur les cheveux, sur les cils, sur le corsage, Jean penche vers elle murmura:

«Comme vous etes jolie!» Elle repondit, sur le ton qu’on prend pour gronder un enfant:

«Voulez-vous bien vous taire?» C’etaient les premieres paroles un peu galantes qu’ils echangeaient.

«Allons, dit Jean fort trouble, sauvons-nous avant qu’on nous rejoigne.» Il apercevait, en effet, tout pres d’eux maintenant, le dos du capitaine Beausire qui descendait a reculons afin de soutenir par les deux mains Mme Roland, et, plus haut, plus loin, Roland se laissait toujours glisser, cale sur son fond de culotte en se trainant sur les pieds et sur les coudes avec une allure de tortue, tandis que Pierre le precedait en surveillant ses mouvements.

Le sentier moins escarpe devenait une sorte de chemin en pente contournant les blocs enormes tombes autrefois de la montagne. Mme Rosemilly et Jean se mirent a courir et furent bientot sur le galet. Ils le traverserent pour gagner les roches.

Elles s’etendaient en une longue et plate surface couverte d’herbes marines et ou brillaient d’innombrables flaques d’eau. La mer basse etait la-bas, tres loin, derriere cette plaine gluante de varechs, d’un vert luisant et noir.

Jean releva son pantalon jusqu’au-dessus du mollet et ses manches jusqu’au coude, afin de se mouiller sans crainte, puis il dit: «En avant!» et sauta avec resolution dans la premiere mare rencontree.

Plus prudente, bien que decidee aussi a entrer dans l’eau tout a l’heure, la jeune femme tournait autour de l’etroit bassin, a pas craintifs, car elle glissait sur les plantes visqueuses.

«Voyez-vous quelque chose? disait-elle.

– Oui, je vois votre visage qui se reflete dans l’eau.

– Si vous ne voyez que cela, vous n’aurez pas une fameuse peche.» Il murmura d’une voix tendre:

«Oh! de toutes les peches c’est encore celle que je prefererais faire.» Elle riait:

«Essayez donc, vous allez voir comme il passera a travers votre filet.

– Pourtant… si vous vouliez?

– Je veux vous voir prendre des salicoques… et rien de plus… pour le moment.

– Vous etes mechante. Allons plus loin, il n’y a rien ici.» Et il lui offrit la main pour marcher sur les rochers gras.

Elle s’appuyait un peu craintive, et lui, tout a coup, se sentait envahi par l’amour, souleve de desirs, affame d’elle, comme si le mal qui germait en lui avait attendu ce jour-la pour eclore.

Ils arriverent bientot aupres d’une crevasse plus profonde, ou flottaient sous l’eau fremissante et coulant vers la mer lointaine par une fissure invisible, des herbes longues, fines, bizarrement colorees, des chevelures roses et vertes, qui semblaient nager.

Mme Rosemilly s’ecria:

«Tenez, tenez, j’en vois une, une grosse, une tres grosse la-bas!» Il l’apercut a son tour, et descendit dans le trou resolument, bien qu’il se mouillat jusqu’a la ceinture.

Mais la bete remuant ses longues moustaches reculait doucement devant le filet. Jean la poussait vers les varechs, sur de l’y prendre. Quand elle se sentit bloquee, elle glissa d’un brusque elan par-dessus le lanet, traversa la mare et disparut.

La jeune femme qui regardait, toute palpitante, cette chasse, ne put retenir ce cri:

«Oh! maladroit!» Il fut vexe, et d’un mouvement irreflechi traina son filet dans un fond plein d’herbes. En le ramenant a la surface de l’eau, il vit dedans trois grosses salicoques transparentes, cueillies a l’aveuglette dans leur cachette invisible.

Il les presenta, triomphant, a Mme Rosemilly qui n’osait point les prendre, par peur de la pointe aigue et dentelee dont leur tete fine est armee.

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