Elle s’y decida pourtant, et pincant entre deux doigts le bout effile de leur barbe, elle les mit, l’une apres l’autre, dans sa hotte, avec un peu de varech qui les conserverait vivantes.
Puis ayant trouve une flaque d’eau moins creuse, elle y entra, a pas hesitants, un peu suffoquee par le froid qui lui saisissait les pieds, et elle se mit a pecher elle-meme. Elle etait adroite et rusee, ayant la main souple et le flair de chasseur qu’il fallait. Presque a chaque coup, elle ramenait des betes trompees et surprises par la lenteur ingenieuse de sa poursuite.
Jean maintenant ne trouvait rien, mais il la suivait pas a pas, la frolait, se penchait sur elle, simulait un grand desespoir de sa maladresse, voulait apprendre.
«Oh! montrez-moi, disait-il, montrez-moi!» Puis, comme leurs deux visages se refletaient, l’un contre l’autre, dans l’eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace limpide, Jean souriait a cette tete voisine qui le regardait d’en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus.
«Ah! que vous etes ennuyeux! disait la jeune femme; mon cher, il ne faut jamais faire deux choses a la fois.» Il repondit:
«Je n’en fais qu’une. Je vous aime.» Elle se redressa, et d’un ton serieux:
«Voyons, qu’est-ce qui Vous prend depuis dix minutes, avez-vous perdu la tete?
– Non, je n’ai pas perdu la tete. Je vous aime, et j’ose, enfin, vous le dire.» Ils etaient debout maintenant dans la mare salee qui les mouillait jusqu’aux mollets, et les mains ruisselantes appuyees sur leurs filets, ils se regardaient au fond des yeux.
Elle reprit, d’un ton plaisant et contrarie:
«Que vous etes malavise de me parler de ca en ce moment!
Ne pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gater ma peche?» Il murmura:
«Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis longtemps. Aujourd’hui vous m’avez grise a me faire perdre la raison.» Alors, tout a coup, elle sembla en prendre son parti, se resigner a parler d’affaires et a renoncer aux plaisirs.
«Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer tranquillement.» Ils grimperent sur un roc un peu haut, et lorsqu’ils y furent installes cote a cote, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit:
«Mon cher ami, vous n’etes plus un enfant et je ne suis pas une jeune fille. Nous savons fort bien l’un et l’autre de quoi il s’agit, et nous pouvons peser toutes les consequences de nos actes. Si vous vous decidez aujourd’hui a me declarer votre amour, je suppose naturellement que vous desirez m’epouser.» Il ne s’attendait guere a cet expose net de la situation, et il repondit niaisement:
«Mais oui.
– En avez-vous parle a votre pere et a votre mere?
– Non, je voulais savoir si vous m’accepteriez.» Elle lui tendit sa main encore mouillee, et comme il y mettait la sienne avec elan:
«Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n’oubliez point que je ne voudrais pas deplaire a vos parents.
– Oh! pensez-vous que ma mere n’a rien prevu et qu’elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne desirait pas un mariage entre nous?
– C est vrai, je suis un peu troublee.» Ils se turent. Et il s’etonnait, lui, au contraire qu’elle fut si peu troublee, si raisonnable. Il s’attendait a des gentillesses galantes, a des refus qui disent oui, a toute une coquette comedie d’amour melee a la peche, dans le clapotement de l’eau!
Et c’etait fini, il se sentait lie, marie, en vingt paroles. Ils n’avaient plus rien a se dire puisqu’ils etaient d’accord et ils demeuraient maintenant un peu embarrasses tous deux de ce qui s’etait passe, si vite, entre eux, un peu confus meme, n’osant plus parler, n’osant plus pecher, ne sachant que faire.
La voix de Roland les sauva:
«Par ici, par ici, les enfants! Venez voir Beausire. Il vide la mer, ce gaillard-la.» Le capitaine, en effet, faisait une peche merveilleuse.
Mouille jusqu’aux reins, il allait de mare en mare, reconnaissant d’un seul coup d’?il les meilleures places, et fouillant, d’un mouvement lent et sur de son lanet, toutes les cavites cachees sous les varechs.
Et les belles salicoques transparentes, d’un blond gris, fretillaient au fond de sa main quand il les prenait d’un geste sec pour les jeter dans sa hotte.
Mme Rosemilly surprise, ravie, ne le quitta plus, l’imitant de son mieux, oubliant presque sa promesse et Jean qui suivait, reveur, pour se donner tout entiere a cette joie enfantine de ramasser des betes sous les herbes flottantes.
Roland s’ecria tout a coup:
«Tiens, Mme Roland qui nous rejoint.» Elle etait restee d’abord seule avec Pierre sur la plage, car ils n’avaient envie ni l’un ni l’autre de s’amuser a courir dans les roches et a barboter dans les flaques; et pourtant ils hesitaient a demeurer ensemble. Elle avait peur de lui, et son fils avait peur d’elle et de lui-meme, peur de sa cruaute qu’il ne maitrisait point.
Ils s’assirent donc, l’un pres de l’autre, sur le galet.
Et tous deux, sous la chaleur du soleil calmee par l’air marin, devant le vaste et doux horizon d’eau bleue moiree d’argent, pensaient en meme temps: «Comme il aurait fait bon ici, autrefois!» Elle n’osait point parler a Pierre, sachant bien qu’il repondrait une durete; et il n’osait pas parler a sa mere sachant aussi que, malgre lui, il le ferait avec violence.
Du bout de sa canne il tourmentait les galets ronds, les remuait et les battait. Elle, les yeux vagues, avait pris entre ses doigts trois ou quatre petits cailloux qu’elle faisait passer d’une main dans l’autre, d’un geste lent et machinal. Puis son regard indecis, qui errait devant elle, apercut, au milieu des varechs, son fils Jean qui pechait avec Mme Rosemilly. Alors elle les suivit, epiant leurs mouvements, comprenant confusement, avec son instinct de