nourrir la Cite pendant cinq hibernations! Et tout ca degage la meme odeur de roche que les guerrieres qui les poursuivent.
Comment est-il possible qu'un grenier aussi bien fourni ait ete secretement amenage ici?
Avec une lomechuse pour en bloquer l'acces, qui plus est! Cette information n'a jamais circule entre les antennes de la Meute…
Ils se restaurent copieusement puis reunissent leurs antennes pour faire le point. Cette affaire devient de plus en plus tenebreuse. L'arme secrete qui decime l'expedition numero un, les guerrieres a l'odeur speciale qui les attaquent partout, la lomechuse, une cachette de nourriture sous le plancher de la Cite…Cela depasse l'hypothese d'un groupe d'espions mercenaires au service des naines. Ou alors ils sont sacrement bien organises! 327e et ses partenaires n'ont pas le loisir d'approfondir leur reflexion. Des vibrations sourdes se repercutent en profondeur. Pan pan panpan, pan pan panpan! La-haut, les ouvrieres tambourinent du bout de leur abdomen sur le sol. C'est grave. On en est alerte deuxieme phase. Ils ne peuvent ignorer cet appel. Leurs pattes font automatiquement demi-tour. Leurs corps, mus par une force irrepressible, sont la en route pour rejoindre le reste de la Meute. La boiteuse qui les suivait a bonne distance se sent soulagee. Ouf! Ils n'ont rien decouvert…
Finalement, comme ni sa mere ni son pere ne remontaient de la cave, Nicolas se resolut a prevenir police. Et c'est un enfant affame et aux yeux rouges qui debarqua dans le commissariat pour expliquer que «ses parents avaient disparu dans la cave», probablement devores par des rats ou des fourmis. Deux policiers eberlues lui emboiterent le pas jusqu'au sous-sol du 3 de la rue des Sybarites.
L'alerte est causee par un evenement extraordinaire. La-chola-kan, la cite fille situee le plus a l'ouest, a ete attaquee par des legions de fourmis naines. Elles se sont donc decidees a remettre ca… Maintenant la guerre est inevitable. Les survivants, qui sont arrives a passer le blocus impose par les Shigaepouyennes, racontent des choses incroyables. Selon eux, voila ce qui s'est passe: A 17°-temps, une longue branche d'acacia s'est approchee de l'entree principale de La-chola-kan. Une branche anormalement mobile. Elle s'est enfoncee d'un seul coup et a devaste l'orifice… en tournant! Les sentinelles sont alors sorties pour attaquer cet objet creuseur non identifie, mais toutes ont ete aneanties. Ensuite, tout le monde est reste calfeutre a attendre que la branche arrete ses ravages. Mais ca n'en finissait pas.
La branche a fait sauter le dome comme s'il s'agissait d'un bouton de rose, elle a fouille dans les couloirs. Les soldates avaient beau mitrailler a tout-va, l'acide ne pouvait rien contre ce vegetal destructeur. Et les Lacholakaniennes n'en pouvaient plus de terreur. Ca a quand meme cesse. Il y a eu 2°-temps de repit, puis les legions naines sont arrivees au pas de charge. La cite fille eventree a eu du mal a resister a la premiere attaque. Les pertes se comptent par dizaines de milliers. Les rescapes se sont finalement refugies dans leur souche de pin et ils arrivent a soutenir le siege. Cependant, ils ne pourront survivre tres longtemps, ils n'ont plus aucune reserve alimentaire et l'on se bat deja jusque dans les arteres de bois de la Cite interdite.
La-chola-kan faisant partie de la Federation, Bel-o-kan et toutes les cites filles voisines se doivent de lui porter secours. Le branle-bas de combat est decrete avant meme que les antennes aient recu la fin des premiers recits du drame. Qui parle encore de repos et de reconstructions? La premiere guerre de printemps vient de commencer. Tandis que le 327e male, la 56e femelle et la 103 683e soldate remontent les etages au plus vite, partout autour d'eux ca grouille. Les nourrices descendent les ?ufs, les larves et les nymphes au -43e etage. Les trayeuses de pucerons cachent leur betail vert au fin fond de la Cite. Les agricultrices preparent des stocks d'aliments haches pouvant servir de rations de combat. Dans les salles des castes militaires les artilleuses gorgent leur abdomen a ras bord d'acide formique. Les cisailleuses aiguisent leurs mandibules. Les mercenaires se regroupent en legions compactes. Les sexues se calfeutrent dans leurs quartiers.
On ne peut attaquer tout de suite, il fait trop froid.
Mais des demain matin au premier soleil, la guerre va faire rage.
La-haut, sur le dome, on ferme les issues de regulation de thermie. La cite de Bel-o-kan contracte ses pores, rentre ses griffes et serre les dents. Elle est prete a mordre.
Le plus gros des deux flics entoura de son bras les epaules du garcon.
— Alors tu en es bien sur? Ils sont la-dedans?
L'enfant, l'air excede, se degagea sans repondre.
L'inspecteur Galin se pencha au-dessus de l'escalier et lanca un «ohe!» aussi puissant que ridicule. L'echo lui repondit.
– Ca a l'air vraiment tres profond, fit-il. On ne peut pas descendre comme ca, il faudrait du materiel.
Le commissaire Bilsheim se posa un doigt pulpeux sur la bouche, la mine soucieuse.
– Evidemment. Evidemment.
— Je, vais aller chercher les pompiers, dit l'inspecteur Galin.
— D'accord, pendant ce temps, moi je vais interroger le petit.
Le commissaire designa la serrure fondue.
— C'est ta maman qui a fait ca? — Oui.
— Dis donc, elle est degourdie ta maman. Je connais peu de femmes qui savent se servir d'un chalumeau pour faire sauter une porte blindee… Et je n'en connais aucune qui sache deboucher un evier.
Nicolas n'avait pas le c?ur a blaguer.
— Elle voulait aller chercher Papa.
— C'est vrai, excuse-moi… Ils sont la-dessous depuis combien de temps deja? -Depuis deux jours. Bilsheim se gratta le nez.
— Et pourquoi ton pere est-il descendu, tu le sais?
— Au debut c'etait pour aller chercher le chien. Apres on ne sait pas. Il a achete des tas de plaques de metal et il les a emmenees en bas. Et puis il a achete plein de livres sur les fourmis.
— Les fourmis? Evidemment, evidemment. Le commissaire Bilsheim, passablement deroute, se borna a hocher la tete en murmurant quelques autres «evidemment». L'affaire s'annoncait mal. Il ne la sentait pas. Ce n'etait pas la premiere fois qu'il avait affaire a des cas «speciaux». On pouvait meme dire qu'on lui refilait systematiquement tous les coups pourris. Cela tenait sans doute a l'une de ses 'principales qualites: il donnait l'impression aux fous qu'ils avaient enfin trouve avec lui une oreille comprehensive. C'etait un don de naissance. Tout petit deja, ses camarades de classe venaient le voir pour lui confier leurs delires. Il branlait alors la tete d'un air entendu tout en fixant son interlocuteur, et ne disant qu' «evidemment». Cela marchait a tous les coups. On se complique la vie a vouloir mettre au point des phrases sophistiquees et des compliments pour impressionner ou seduire ses vis-a-vis; or Bilsheim s'etait apercu que le simple mot «evidemment» etait amplement suffisant. Encore un mystere de la communication interhumaine elucide. Le phenomene etait d'autant plus curieux que le jeune Bilsheim, qui ne parlait pratiquement jamais, avait obtenu la reputation d'un grand orateur dans son ecole. On venait meme lui demander de faire les discours de fin d'annee. Bilsheim aurait pu devenir psychiatre mais l'uniforme exercait un veritable pouvoir de fascination sur lui. Et a cet egard, la blouse blanche ne faisait pas le poids a ses yeux. Dans un monde de cingles, la police et l'armee etaient en somme les porte-drapeaux de «ceux qui ne se laissent pas aller». Car meme s'il pensait les comprendre, Bilsheim detestait tous ces gens qui causent a tort et a travers. Des ecerveles! Le summum de l'agacement etait provoque chez lui par les gens qui parlent a haute voix dans le metro, mimant une scene d'echec qu'ils viennent justement de vivre et qu'ils veulent rejouer. Quand Bilsheim s'etait engage dans la police, son don avait vite ete repere par ses superieurs. On lui fourguait systematiquement tous les «cas incomprehensibles». La plupart du temps, il ne resolvait rien du tout, mais en tout cas, il s'en occupait, et c'etait deja beaucoup
— Ah, et puis il y a les allumettes!