— Qu'est-ce qu'elles ont les allumettes?
— Avec six allumettes il faut former quatre triangles si on veut trouver la solution.
— Quelle solution?
— La «nouvelle maniere de penser». L'autre «logique» dont parlait Papa.
— Evidemment.
Cette fois-ci le garcon se revolta
— Non, pas «evidemment»! Il faut chercher la forme geometrique qui permet de faire quatre triangles. Les fourmis, l'oncle Edmond, les allumettes, tout est lie.
— L'oncle Edmond? Qui est cet oncle Edmond?
Nicolas s'anima.
— C'est lui qui a redige l'Encyclopedie du savoir relatif et absolu. Mais il est mort.
Peut-etre a cause des rats. Ce sont les rats qui ont tue Ouarzazate.
Le commissaire Bilsheim soupira. Atterrant! Qu'est-ce que ca va donner ce bout de gamin-la quand ca aura sa majorite? Au minimum un alcoolique. L'inspecteur Galin arriva enfin avec les pompiers. Bilsheim le regarda avec fierte. Un crack, ce Galin. Et meme un pervers. Les histoires de fous, ca l'excitait. Plus c'etait tordu, plus il y allait. Bilsheim le comprehensif et Galin l'enthousiaste formaient a eux deux l'officieuse brigade des «affaires-de- cingles-dont-personne-ne-veut-s'occuper». On les avait deja envoyes sur le cas de la «petite vieille bouffee par ses chats», sur celui de la «prostituee qui etouffait les clients avec sa langue», sans oublier le «reducteur de tetes de charcutiers».
— C'est bon, dit Galin, restez ici chef, on plonge et on vous les ramene dans les civieres gonflables.
Dans sa loge nuptiale, Mere s'est arretee de pondre. Elle leve une seule antenne et demande a rester seule. Ses servantes disparaissent. Belo-kiu-kiuni, le sexe vivant de la Cite, n'est pas calme.
Non, elle n'a pas peur de la guerre. Elle en a deja gagne et perdu une bonne cinquantaine. Ce qui l'inquiete, c'est autre chose. Cette histoire d'arme secrete. Cette branche acacia qui tourne et qui arrache le dome. Elle n'a pas non plus oublie le temoignage du 327e male, vingt-huit guerrieres mortes sans meme avoir pu se mettre en position de combat… Peut-on prendre le risque de ne pas tenir compte de ces donnees extraordinaires?
Plus maintenant. Mais que faire? Belo-kiu-kiuni se souvient de la fois ou elle a deja du affronter une «arme secrete incomprehensible». C'etait pendant les guerres contre les termitieres du Sud. Un beau jour on lui avait annonce qu'une escouade de cent vingt soldates se trouvait, non pas detruite, mais immobilisee»! L'affolement etait a son comble. On pensait qu'on ne pourrait plus jamais vaincre les termites et qu'ils avaient pris une avance technologique decisive.
On depecha des espions. Les termites venaient en fait mettre au point une caste d'artilleuses lanceuses de glu. Les nasutitermes. Elles en arrivaient a projeter a deux cents tetes de distance une colle qui bloquait les pattes et les machoires des soldates.
La Federation avait longtemps reflechi puis avait trouve une parade: avancer en se protegeant avec des feuilles mortes. Cela donna d'ailleurs lieu a la fameuse bataille des Feuilles mortes, gagnee par les troupes belokaniennes…
Cette fois-ci, toutefois, les adversaires n'etaient plus des patauds termites, mais des naines dont la vivacite et l'intelligence les avaient deja plusieurs fois prises de cours.
En outre, l'arme secrete semblait particulierement destructrice.
Elle se tripota nerveusement les antennes.
Que savait-elle exactement des naines?
Beaucoup et peu de chose. Celles-ci avaient debarque il y a cent ans dans la region. Au debut, il y avait eu juste quelques eclaireuses. Comme elles etaient de taille reduite, on ne s'etait pas mefie. Les caravanes de naines etaient arrivees ensuite, portant a bout de pattes leurs ?ufs et leurs reserves alimentaires. Elles passerent leur premiere nuit sous la racine du grand pin. Au matin, la moitie d'entre elles avait ete decimee par un herisson affame. Les survivantes s'eloignerent vers le nord ou elles etablirent un bivouac, pas loin des fourmis noires.
A la Federation, on s'etait dit: «c'est une affaire entre elles et les fourmis noires». Et il y en avait meme qui avaient mauvaise conscience de laisser ces etres malingres en pature aux grosses fourmis noires. Cependant les fourmis naines ne furent pas massacrees. On les voyait tous les jours la-haut, qui transportaient des brindilles et des petits coleopteres. En revanche, celles qu'on ne voyait plus c'etaient… les grosses fourmis noires.
On ne sait toujours pas ce qui s'etait passe, mais les eclaireuses belokaniennes rapporterent que desormais les naines occupaient l'ensemble du nid des fourmis noires. On prit l'evenement avec fatalisme, voire humour. Bien fait pour ces pretentieuses fourmis noires, humait-on dans les couloirs. Et puis ce n'etaient pas ces petites fourmis de rien du tout qui allaient inquieter la puissante Federation. Seulement, apres les fourmis noires, ce fut l'une des ruches a abeilles de l'eglantier qui fut occupee par les naines… Puis la derniere termitiere du Nord et le nid des fourmis rouges a venin passerent a leur tour sous la banniere des naines!
Les refugies qui affluaient a Bel-o-kan et qui venaient gonfler la masse des mercenaires racontaient que les naines avaient des strategies de combat avant-gardistes. Par exemple, elles infectaient les points d'eau en y deversant des poisons issus de fleurs rares. Pourtant on ne s'alarmait pas encore serieusement. Et il fallut que la cite de Niziu-ni-kan tombe l'annee derniere en 2°-temps pour qu'enfin on s'apercoive qu'on avait affaire a de redoutables adversaires. Mais si les rousses avaient sous-estime les naines, les naines n'avaient pas juge les rousses a leur juste valeur. Niziu-ni-kan etait une cite de taille tres reduite, mais liee a toute la Federation. Le lendemain de la victoire naine, deux cent quarante legions de mille deux cents soldates chacune vinrent les reveiller en fanfare. L'issue du combat etait certaine, ce qui n'empecha pas les naines de se battre avec acharnement. De sorte qu'il fallut aux troupes federees un jour plein avant de penetrer dans la cite liberee. On decouvrit alors que les naines avaient installe dans Niziu-ni-kan non pas une mais… deux cents reines. Cela fit un choc.
ARMEE OFFENSIVE:
Les reines naines prisonnieres raconterent l'histoire et les m?urs des naines. Une histoire extravagante. Selon elles, il y a longtemps, les naines vivaient dans un autre pays, separe par des milliards de tetes de distance. Ce pays etait bien different de la foret de la Federation. Il y poussait des fruits volumineux, tres colores et tres sucres. En outre, il n'y avait pas d'hiver et pas d'hibernation. Sur cette terre de cocagne les naines avaient construit Shi-gae-pou 1 «ancienne», cite elle-meme issue d'une tres vieille dynastie. Ce nid etait amenage au pied d'un laurier-rose. Or, il advint que le laurier-rose et le sable qui l'entourait furent un jour arraches du sol pour etre deposes dans une boite de bois. Les naines tenterent de fuir de la boite mais celle-ci fut deposee a l'interieur d'une structure gigantesque et tres dure. Et quand elles parvinrent aux frontieres de cette structure, elles tomberent sur de l'eau. De l'eau salee a perte de vue. Beaucoup de naines se noyerent en essayant de retrouver la terre de leurs ancetres, puis la majorite decida que, tant pis, il fallait survivre dans cette structure immense et dure entouree d'eau salee. Cela dura des jours et des jours.
Elles percevaient, grace a leur organe de Johnston, qu'elles se deplacaient tres vite, sur une distance phenomenale.
Nous avons traverse une centaine de barrieres magnetiques terrestres. Ou cela allait-il nous mener? Ici. On nous a debarquees avec le laurier-rose. Nous avons decouvert ce monde, sa faune et sa flore exotiques.
Le depaysement s'avera decevant. Les fruits, les fleurs, les insectes etaient plus petits,
moins colores.
Elles avaient quitte un pays rouge, jaune, bleu pour tomber sur du vert, du noir et du marron. Un monde fluo contre un monde pastel.