ne m'aiment pas vraiment.

Je dessine ma douleur et je dessine l'etre que je crois etre en moi et qui me ronge.

42. JACQUES. 5 ANS

J'ai peur. Je ne sais pas pourquoi j'ai peur. Hier soir il y avait a la television ce qu'ils appellent un «western». J'etais tetanise de peur et d'horreur. Je tremblais de tout mon corps. Toute ma famille a ete surprise.

Ce matin mes s?urs surgissent en imitant les cow-boys pour m'effrayer. Je fuis a l'autre bout de l'appartement. Elles me rattrapent dans le salon. Je cours dans la cuisine. Elles me rattrapent dans la cuisine. Je cours vers la salle de bains. Elles me rattrapent dans la salle de bains.

— On va te scalper, clame Mathilde, la plus jeune.

Mais pourquoi dit-elle des choses mechantes comme ca!

Mes s?urs me poursuivent jusque dans la chambre des parents. Puis elles tentent de me saisir dans la buanderie mais je leur echappe en me faufilant entre leurs jambes. Je m'affole. Ou me cacher? Une idee me vient. Je m'enferme dans les W-C. Pour plus de securite, je pousse la targette. Elles tapent contre la porte mais je ne crains rien, elle est solide. Dans ces W-C, je me sens comme dans une forteresse tandis qu'elles frappent de plus belle. Tout a coup, elles s'arretent. Dehors ca discute.

— Que se passe-t-il? demande papa.

— Y a que Jacques s'est enferme dans les toilettes, piaillent mes s?urs.

— Dans les toilettes? Mais qu'est-ce qu'il fiche, la-dedans? s'etonne mon pere.

Et c'est alors que je suis saisi d'une inspiration. Je prononce la phrase que dit toujours papa lorsqu'il veut etre tranquille aux W-C et qui agace maman:

— Je lis un livre.

Silence derriere la porte. Je sais que dans la maison le mot «livre» suscite immediatement le respect.

— Alors, on fait sauter la porte? propose gentiment Mathilde.

Suspense.

Puis j'entends papa grommeler:

— S'il est aux W-C pour lire un livre, il faut le laisser.

Une lecon s'inscrit dans ma tete. Quand plus rien ne va, tu t'enfermes dans les W-C et tu lis un livre.

Je m'assieds sur la cuvette et j 'observe. Il y a un tas de journaux sur ma droite et, au-dessus, une etagere specialement amenagee en bibliotheque par papa. Je m'empare d'un livre. Les pages sont pleines de lettres collees cote a cote et que je ne sais pas decrypter. Je contemple les couvertures d'autres ouvrages. Par chance, il y a aussi un album pour enfants avec beaucoup d'images. Je le connais. Papa me l'a deja lu avant que je m'endorme. Il raconte l'histoire d'un homme geant chez les nains et nain chez les geants. Je crois que l'homme s'appelle «Gulliver». Je regarde les images et essaie de dechiffrer les lettres pour que ca forme des mots. C'est trop dur. Je m'attarde sur le dessin du bonhomme geant ligote par la foule des tout-petits.

Un jour, je saurai lire et je m'enfermerai dans les W-C longtemps, longtemps, et je lirai tellement fort que j'oublierai tout ce qui se passe derriere la porte.

43. LES QUATRE SPHERES DES DESTINS

Edmond Wells nous entraine vers une entree rocheuse des montagnes du Nord-Est. Mon instructeur nous indique un passage et nous glissons dans un labyrinthe de tunnels avant de deboucher dans une immense grotte illuminee par quatre ballons d'environ cinquante metres de haut en levitation a deux metres du sol.

Des anges instructeurs volettent autour d'eux comme des moucherons sur des melons phosphorescents en suspension.

— Ce lieu a pour vocation de n'etre frequente que par les seuls anges instructeurs, annonce notre mentor. Mais etant donne que vous etes tellement desireux de voir ce que les autres anges ne voient pas et ne cher chent d'ailleurs pas a voir, je veux bien assouvir un peu votre curiosite.

Nous nous approchons.

Les quatre ballons sont de taille identique mais leurs contenus sont differents.

Le premier recele l'ame du monde mineral.

Le second celle du monde vegetal.

Le troisieme l'ame du monde animal.

Le quatrieme l'ame du monde humain.

Je vais vers la premiere sphere. A l'interieur, un noyau etincelant fremit. Serait-ce l'ame de la Terre, la fameuse Gaia, l'Alma mater dont parlaient les Anciens?

— La Terre possede donc une ame?

— Oui. Tout vit, et tout ce qui vit est dote d'une ame, repond Edmond Wells.

Et, negligemment, il ajoute:

— Et tout ce qui est dote d'une ame a envie d'evoluer.

Fascine, je m'abandonne a la contemplation des spheres.

— Tout vit, vraiment? Meme les pierres?

— Meme les montagnes, meme les ruisseaux, meme les cailloux, mais leur ame est de bas niveau. Pour le mesurer, il suffit d'observer le scintillement de la lumiere-noyau et, intuitivement, on en deduit la notation de l'ame.

— Donc, dis-je, integrant cette cosmogonie, le minerai, etant au stade 1, devrait etre note a 100 points, le vegetal a 200, l 'animal a 300 et l'humain a 400…

— Mesure!

Je percois en effet l'ame de la Terre, mais elle n'est pas a 100 points pile, elle est a beaucoup plus… 163 points! La seconde sphere, celle des forets, des champs et des fleurs n'est pas non plus a 200 mais a 236 points. Celle du regne animal est a 302. Quant a l'humanite, elle est a 333.

— Quoi, m'etonne-je, l'humanite n'est pas a 400 points?

Edmond Wells confirme:

— Comme je te l'ai deja dit, la reside tout le sens de notre travail. Contribuer a hisser les humains pour qu'ils deviennent enfin des humains. De veritables 4. Mais comme tu peux t'en rendre compte, les humains ne sont pas a la place qui leur est devolue. Ils ne sont meme pas encore a equidistance entre l'animalite du 3 et la sagesse du 5. Le «chainon manquant», c'est eux. Ah, ca me fait bien rigoler lorsque Nietzsche parle de «surhommes»! Avant de devenir des surhommes, qu'ils deviennent deja des hommes!

Je me penche de plus pres sur la sphere de l'humanite et regarde un peu mieux les six milliards de bulles avec chacune son noyau lumineux.

Raoul Razorbak se tait, mais je devine que contempler ainsi l'ensemble des ames humaines l'impressionne grandement.

Edmond Wells se penche vers la sphere.

— Voila la masse de nos «clients». Ici se joue l'es sentiel de la partie. A mon avis, si l'humanite ne se charge pas de s'autodetruire elle-meme, d'ici quelques siecles, les humains deviendront de veritables humains, de vrais 4. Mais il nous faudra encore beaucoup de travail, a nous les anges, pour les hisser jusque-la.

Notre instructeur projette une courbe dans notre esprit. Il est optimiste. Les progres de l'humanite sont exponentiels. Grace aux moyens modernes de transport et donc a la multiplication des voyages, a la communication globale, a la diffusion de la culture a l'echelle planetaire, aux medias de plus en plus nombreux et accessibles, les sages (ou les 5) peuvent desormais gagner plus rapidement en influence.

— Observez comment les hommes vivaient autrefois et comme ils vivent maintenant. Jadis, tous craignaient les predateurs. A present, ils les enferment dans des zoos. Ils redoutaient la famine, ils etaient contraints de s'echiner a des taches penibles. Aujourd'hui, robots et ordinateurs accomplissent a leur place ces memes travaux.

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