nouvelles techniques comme la jeune generation, qui etait formee a ces techniques pratiquement depuis la naissance, mais ce qu’il en savait etait suffisant pour lui permettre d’assimiler rapidement les donnees, de les integrer a un ensemble dans son subconscient et de produire presque instantanement une serie de calculs de probabilites. Il se demandait meme comment il avait pu survivre autrefois en raisonnant a partir d’une base purement consciente.

Thordin emergea de la rampe juste a l’exterieur de la Citadelle de Kraakahaym. Skorrogan avait fixe le lieu de rencontre a cet endroit, plutot qu’a l’interieur, parce qu’il aimait le panorama qu’on y avait sous les yeux. Le Valtam devait admettre qu’il etait majestueux, meme un peu vertigineux: il consistait en une perspective tourmentee de rochers gris a pic, d’aspect lugubre, et de nuages eclates par le vent, le tout se prolongeant sur une centaine de metres jusqu’a la vallee verte tout au fond. Au-dessus de Thordin se dressaient les immenses remparts a creneaux, avec le kraakar aux ailes noires qui avait donne son nom a l’endroit, planant et croassant dans le ciel. Le vent grondait autour du Valtam, poussant devant lui une neige tres blanche et tres dure.

Les gardes leverent leur lance en guise de salut. Ils n’avaient pas d’autre arme, et les fulgureurs aux murs du chateau etaient en train de rouiller irremediablement. Il n’y avait pas besoin d’armes au c?ur! d’un empire qui venait seulement apres les dominions de Sol. Skorrogan attendait dans la grande cour. Cinquante annees avaient a peine voute son dos ou ote sa ferocite a l’eclat dore de ses yeux. Pourtant il semblait a Thordin que son visage exprimait aujourd’hui une sorte d’impatience, de passion couvant sous la cendre. Comme quelqu’un qui attendrait d’arriver au bout d’un! voyage.

Skorrogan lui adressa les paroles rituelles de bienvenue et l’invita a entrer.

— Non, non, merci, dit Thordin. J’ai vraiment beaucoup de travail. J’aimerais que nous partions tout de suite si c’est possible.

Visiblement le duc non plus n’etait pas mecontent de ne pas perdre de temps. Sans attendre davantage, il le conduisit a son vaisseau stationne derriere la citadelle. C’etait un petit robonef luisant qui possedait la forme, devenue courante dans la flotte spatiale skontarienne, d’un tetraedre. Ils monterent et s’installerent dans leurs sieges, au centre de l’appareil, d’ou ils avaient la meilleure vue.

— A present, fit Thordin, peut-etre allez-vous me dire pourquoi vous tenez a aller a Cundaloa aujourd’hui?

Skorrogan lui lanca un regard dans lequel on pouvait| sentir une ancienne douleur se raviver.

— Aujourd’hui, dit-il lentement, cela fera tres exactement cinquante ans jour pour jour que je suis revenu de Sol.

— Oui? Eh bien?…

Thordin etait intrigue mais se sentait aussi quelque peu mal a l’aise. Cela ne ressemblait pas au vieux noble taciturne de remuer ainsi les cendres.

— Vous ne vous souvenez probablement pas, reprit Skorrogan, mais si vous faites un effort pour l’extirper de votre subconscient, vous reverrez ce jour ou j’ai dit aux dignitaires qu’ils pourraient venir me trouver dans cinquante ans pour me demander pardon.

— Vous tenez a vous justifier, si je comprends bien.

Thordin n’eprouvait aucune surprise: c’etait typiquement dans la psychologie skontarienne. Mais il n’en continuait pas moins a se demander de quoi il pouvait bien etre question de s’excuser.

— Oui, repondit Skorrogan. A ce moment-la, je ne pouvais pas m’expliquer: personne ne m’aurait ecoute, et meme moi, je n’etais pas absolument sur que j’avais agi comme il le fallait. — Il sourit tandis que ses mains fines se posaient sur les commandes. — A present je le suis. Le temps est venu justifier mon acte. Et je veux racheter tout l’honneur que j’ai perdu ce jour-la en vous montrant aujourd’hui que je n’avais pas vraiment echoue. Au contraire, j’ai pleinement reussi. Voyez-vous, c’est expres que j’avais econduit les Soliens.

Il appuya sur le bouton de propulsion principal et le vaisseau traversa une demi-annee-lumiere d’espace. Le grand bouclier bleu de Cundaloa roulait majestueusement devant leurs yeux, irradiant une douce lumiere sur un fond de millions d’etoiles scintillantes.

Thordin ne disait rien. Il laissait simplement la declaration qu’il venait d’entendre s’insinuer dans tous les compartiments de son esprit. Sa premiere reaction emotionnelle etait la constatation a peine surprise que, subconsciemment, il s’attendait a quelque chose de ce genre. Il n’avait jamais reellement cru, au plus profond de lui-meme, que Skorrogan ait ete un incapable. Pas plus qu’un traitre, non, mais… Disons qu’il etait permis toutefois de se demander a quoi il voulait en venir.

— Vous n’avez pas souvent ete a Cundaloa depuis la guerre, n’est-ce pas? demanda Skorrogan.

— Non, en effet: seulement trois fois, et dans le cadre de visites de travail extremement breves. C’est un systeme prospere. L’aide solienne les a remis completement sur pied.

— Prospere… certes, ils le sont…

Pendant un instant, un sourire retroussa le coin des levres de Skorrogan, mais c’etait un petit sourire triste, comme s’il essayait de pleurer sans y parvenir. Il reprit:

— Nous avons affaire a un petit systeme tres actif qui a reussi, avec ses trois colonies parmi les etoiles.

D’un geste brusque charge de colere, il pressa les commandes d’atterrissage et le robonef vint se poser doucement dans un coin du grand spatioport de Cundaloaville. Aussitot les robots du berceau se mirent au travail, procedant aux verifications d’usage apres avoir etale un champ de force autour de l’appareil.

— Et… maintenant? interrogea Thordin.

Il se sentit brusquement saisi d’une violente apprehension: il savait deja vaguement qu’il n’aimerait pas ce qu’il allait voir.

— Nous allons simplement nous promener un peu a travers la capitale, repondit Skorrogan. Avec peut-etre quelques petites incursions dans certains coins un peu plus retires de la planete. Je tenais a ce que nous venions ici discretement, incognito, parce quel c’est la seule maniere de voir le monde reel, l’existence de tous les jours des etres vivants qui l’habitent: c’est tellement plus important et fidele que n’importe quelles statistiques ou tableaux economiques. Je veux vous montrer ce dont j’ai sauve Skontar. — Il esquissa un sourire dans lequel percait une pointe de satisfaction. — J’ai donne ma vie pour ma planete, Thordin. Cinquante ans de cette vie en tout cas; cinquante annees de solitude et de disgrace.

Ils traverserent au milieu d’un bruit assourdissant l’immense etendue d’acier et de beton qui les separait des portes de la ville. La, ils furent aussitot dans l’enorme flux de gens qui entraient et sortaient, un flux incessant, temoignage de la formidable energie sans cesse en mouvement de la civilisation solienne. Une partie non negligeable de cette population grouillante presentait une apparence humaine et venait a Avaiki pour son travail ou pour ses loisirs; il y avait aussi quelques representants d’autres races. Mais la grande masse etait naturellement constituee par les Cundaloiens d’origine. On avait d’ailleurs parfois quelque difficulte a les distinguer des Humains. Apres tout, les deux especes se ressemblaient, et comme, de plus, les Cundaloiens portaient tous des vetements soliens…

Tout etourdi par le brouhaha de voix, Thordin secouait la tete avec une expression d’ebahissement dans le regard. Il dut presque crier pour parler a Skorrogan:

— Je n’arrive pas a comprendre ce qu’ils disent. Je connais pourtant le cundaloien, les deux langues Laui et Muara, mais…

— Il n’y a rien d’etonnant a cela, lui dit Skorrogan. La plupart parlent solien. Les langues natales sont en train de disparaitre rapidement.

Un Solien grassouillet en vetement de sport criard etait en train d’interpeller un commercant qui, impassible, se tenait sur le seuil de sa boutique:

— He, toi! Toi donner a moi souvenir, la, vite vite!…

— Du solien petit negre, fit Skorrogan avec une grimace. Lui aussi est en voie de disparition, etant donne que les tous jeunes Cundaloiens apprennent entierement la maniere correcte de parler. Mais les touristes, eux, n’apprendront jamais.

Il lanca un regard menacant a l’adresse du touriste solien et, l’espace d’un instant, il fit le geste de porter la main a son fulgureur.

Mais non… les temps ont change. On ne supprime pas quelqu’un parce qu’il s’est simplement trouve vous deplaire personnellement. Meme pas sur Skontar. Cela ne se fait plus.

Le touriste se retourna et faillit lui rentrer dedans.

— Oh! je suis vraiment desole! fit-il aussi poliment qu’il le put. J’aurais du faire attention ou je

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