— Tres bien, repondit-il a sa question muette.
— J’ai souvent parle, en public, mais pas de cette maniere, dit-elle.
— Le Conseil est fidele a la tradition. Ce sont toujours les belles femmes qui diffusent les informations interplanetaires. Cela donne une idee du sentiment esthetique des terriens et en dit long, en general, continua Dar Veter.
— Le Conseil ne s’est pas trompe dans son choix ! s’ecria Mven Mas.
Veda lui adressa un regard penetrant.
— Vous etes celibataire ? demanda-t-elle a voix basse, et comme il faisait « oui » de la tete, elle se mit a rire.
— Vous vouliez me parler, dit-elle, tournee vers Dar Veter. Ils sortirent sur la grande terrasse annulaire, ou Veda exposa avec delices son visage a la brise marine.
Le directeur des stations externes lui confia son desir de participer aux fouilles : il hesitait entre la 38e expedition astrale, les mines sous-marines antarctiques et l’archeologie.
— Non, non, pas d’expedition astrale ! se recria-t-elle, et Dar Veter sentit son manque de tact. Tout a ses preoccupations, il avait, sans-le vouloir, touche au point sensible de l’ame de Veda.
La melodie des accords d’alarme, parvenus de la salle, le tira d’embarras.
— Il est temps, on branche sur l’Anneau dans une demi-heure ! Dar Veter prit delicatement Veda Kong par la main. Tout le monde descendit par l’escalier roulant dans un souterrain quadrangulaire, taille dans le roc.
Partout des appareils. Les parois mates qui semblaient tendues de velours noir, etaient sillonnees de lignes de cristal. Des lueurs dorees, vertes, bleues et orange eclairaient faiblement les colonnes graduees, les signes et les chiffres. Les pointes emeraude des aiguilles tremblotaient sur les arcs sombres, comme si ces larges murs se trouvaient dans une attente febrile.
Plusieurs fauteuils, une grande table d’ebene engagee dans un ecran hemispherique aux reflets irises, que cerclait un cadre d’or massif.
Veda Kong et Mven Mas, qui voyaient pour la premiere fois un observatoire des stations externes, etaient tout yeux.
Dar Veter appela du geste son successeur et designa aux autres les hauts fauteuils noirs. L’Africain s’avanca sur la pointe des pieds, comme marchaient jadis ses ancetres en chassant les fauves dans les savanes brulees de soleil. Il retenait son souffle. La, dans ce caveau inaccessible, s’ouvrirait tout a l’heure une fenetre sur l’immensite du Cosmos, et les hommes se relieraient par la pensee et le savoir a leurs congeneres des autres mondes. Ce petit groupe de cinq personnes representait a ce moment l’humanite, devant l’Univers. Et a partir de demain, lui, Mven Mas, dirigerait ce systeme et commanderait tous les leviers de cette force grandiose. Un frisson lui courut dans le dos. Il venait de comprendre tout le poids de la responsabilite qu’il assumait en acceptant le poste offert par le Conseil. Et quand il vit l’ancien directeur s’occuper sans hate du reglage, son regard exprima un enthousiasme pareil a celui qui brillait dans les yeux du jeune adjoint de Dar Veter.
Il y eut un son grave, inquietant, comme si on faisait vibrer du cuivre massif. Dar Veter se tourna aussitot et deplaca un long levier. Le son cessa, un panneau etroit du mur de droite s’eclaira sur toute sa hauteur. Le mur semblait avoir disparu dans l’infini, cedant la place aux contours fantomatiques d’une montagne pyramidale, coiffee d’un enorme disque de pierre. Au-dessous de ce vaste couronnement de lave solidifiee, on apercevait ca et la des plaques de neige eblouissante.
Mven Mas reconnut le Kenya, l’un des plus hauts sommets de l’Afrique.
Un autre coup de gong ebranla le caveau mettant les gens sur le qui-vive.
Dar Veter prit la main de Mven Mas et la posa sur une manette ronde ou luisait un ?il grenat. Mven Mas la poussa docilement a bloc. Toute la force de la Terre, toute l’energie des mille sept cent soixante usines electriques se trouvait maintenant concentree sur l’equateur, sur cette montagne de cinq kilometres d’altitude. Une aureole multicolore ceignit son sommet, se ramassa en boule et fila subitement en l’air, tel un javelot percant verticalement les profondeurs du ciel. Le globe vitreux etait surmonte d’une mince colonne qui ressemblait a une trombe. Une fumerole bleue, d’une clarte intense, y montait en spirale.
L’emanation dirigee a travers l’atmosphere terrestre formait pour l’emission et l’ecoute des stations externes un canal qui tenait lieu de fil. La-haut, a trente-six mille kilometres de la Terre, il y avait un satellite journalier, grande station qui faisait le tour de la planete en une journee, dans le plan de l’equateur, et semblait par consequent suspendu au-dessus du Kenya, en Afrique Orientale, point de communication permanente avec les stations externes. Un autre satellite, qui evoluait a cinquante-sept mille kilometres, parallelement au 90e meridien, communiquait avec l’observatoire emetteur et recepteur du Tibet. L’ambiance y etait plus favorable a la formation du canal conducteur, mais il n’y avait pas de contact permanent. Ces deux grands satellites etaient relies a plusieurs autres stations automatiques disposees autour de la Terre.
Le panneau de droite s’eteignit : le canal etait branche sur le poste de reception du satellite. L’ecran irise, encadre d’or, s’eclaira a son tour. Au centre, une figure curieusement agrandie parut, se precisa, sourit de sa bouche enorme. Gour Gan, observateur du satellite journalier, avait l’air ici d’un geant des contes de fees. Il salua gaiement de la tete et, tendant son bras de trois metres de long, brancha le reseau des stations externes de notre planete, qui fut incorpore dans un circuit unique par la force envoyee de la Terre. Les yeux sensibles des recepteurs se dirigerent dans tous les sens de l’Univers. Gour Gan se mit en liaison avec le systeme planetaire d’une etoile pourpre de la Licorne, qui avait lance recemment un appel et qui etait plus facile a fixer du satellite 57. Le contact entre la Terre et un autre corps celeste ne pouvait durer que trois quarts d’heure. Il n’y avait donc pas une minute a perdre.
Sur un signe de Dar Veter, Veda Kong vint se placer devant l’ecran, sur un disque de metal bleute. Des rayons invisibles qui tombaient en cascade puissante, approfondissaient la nuance bronzee de sa peau. Les machines electroniques qui traduisaient les paroles de Veda en langage du Grand Anneau, se mirent en marche silencieusement. Dans treize ans, les recepteurs des planetes de l’astre rouge enregistreraient l’emission par des symboles universels que les machines a traduire — s’il y en avait la-bas — reconvertiraient en paroles humaines.
— Dommage que nos auditeurs lointains ne puissent entendre la voix melodieuse de la femme terrestre, songea Dar Veter, ni apprecier ses intonations ... Qui sait comment sont faites leurs oreilles ... L’ouie peut etre de types si differents ! Seule, la vue, toujours desservie par les ondes electromagnetiques qui penetrent l’atmosphere, est presque la meme partout ; ils verront donc l’adorable Veda palpitante d’emotion ...
Dar Veter ecouta la conference sans quitter des yeux la petite oreille de Veda, a demi cachee sous une