— Gardez-vous-en bien ! ordonna severement le chef. Il y a un grand danger. Convoquez tout le monde !
Erg Noor parla des terribles meduses. Apres avoir tenu conseil, on decida d’avancer sur un chariot l’un des moteurs planetaires. Des jets de flamme de trois cents metres de long raserent la plaine pierreuse, balayant tout sur leur passage. Moins d’une heure apres, les gens remettaient en place les cables rompus. La defense etait retablie. Le bon sens exigeait que I’anameson fut embarque avant la tombee de la nuit planetaire. On y reussit au prix d’efforts surhumains, et les voyageurs extenues se retrancherent derriere la cuirasse indestructible de l’astronef, dont ils ecoutaient tranquillement les trepidations. Les microphones transmettaient du dehors les clameurs et le fracas de l’ouragan ; et par l’effet du contraste, le petit monde eclaire, a l’abri des forces tenebreuses, semblait encore plus sympathique. ?i
Ingrid et Louma avaient deploye l’ecran stereoscopique. Le choix du film etait heureux. L’eau azuree de l’ocean Indien clapotait aux pieds des spectateurs. On montrait les Jeux de Poseidon, competitions nautiques mondiales. A l’Ere de l’Anneau, tous les hommes etaient aussi amis de la mer que les peuples maritimes d’autrefois. Plongeons, natation, canotage sur planches a moteur et radeaux a voiles. Milliers de beaux corps bronzesy chants et rires sonores, musique solennelle des arrivees ...
Niza se pencha vers son voisin, le biologiste, transporte par sa reverie dans les lointains infinis, sur la douce planete natale, a la nature soumise.
— Eon, vous avez participe a ces jeux ? Il la regarda avec des yeux absents.
— Hein, a ceux-ci ? Non, jamais ... J’etais perdu dans mes pensees et je ne vous ai pas comprise tout de suite.
— Vous ne pensiez donc pas a ca ? Niza designa l’ecran. N’est-ce pas que la perception de la beaute de notre monde est delicieuse apres les tenebres, la tempete et les meduses electriques ?
— Oui, bien sur. Et on n’en a que plus envie d’attraper un de ces monstres. Justement, je me torturais l’esprit a resoudre cette question.
Niza Krit se detourna du biologiste rieur et apercut le sourire d’Erg Noor.
— Vous aussi, vous meditiez la capture de cette horreur noire ? railla-t-elle.
— Non, je songeais a l’exploration de l’astronef discoide. Ses yeux petillants de malice irriterent presque la jeune fille.
— Je vois maintenant pourquoi les hommes de l’antiquite faisaient la guerre ! Je croyais que ce n’etait que vantardise de la part du sexe fort, comme on disait dans la societe mal organisee ...
— C’est inexact, quoique vous ayez compris jusqu’a un certain point notre ancienne mentalite. Pour moi, plus je trouve ma planete belle et aimable, plus j’aspire a la servir. Je voudrais planter des jardins, extraire des metaux, produire de l’energie, de la nourriture, creer de la musique, de maniere a laisser apres moi une ?uvre reelle, due a mes mains et a mon esprit ... Mais je ne connais que le Cosmos, l’astronautique, et c’est la que je peux servir mon humanite ... Or, le but, ce n’est pas le vol lui-meme, c’est l’enrichissement de la science, la decouverte de mondes nouveaux, dont nous ferons un jour des planetes aussi magnifiques que notre Terre. Et vous, Niza, quel est votre ideal ? Pourquoi etes-vous aussi fascinee par le mystere de l’astronef discoide ? Ne serait-ce que de la curiosite ? ...
D’un effort impetueux, elle surmonta le poids de ses mains lasses et les tendit a Erg Noor, II les prit entre ses larges paumes et les caressa doucement. Le visage de la jeune fille rosit en harmonie avec son opulente chevelure, une force nouvelle anima son corps fatigue. Comme naguere, avant l’atterrissage perilleux, elle pressa sa joue contre la main d’Erg Noor et pardonna du meme coup au biologiste son apparente trahison a l’egard de la Terre. Afin de leur prouver a tous les deux son assentiment, elle leur fit part d’une idee qui venait de l’illuminer : pourvoir un reservoir a eau d’un couvercle basculant automatique et y mettre en guise d’appat un morceau de viande fraiche sterilisee, qui constituait une friandise en supplement aux vivres conserves des astronautes. Si la « chose noire » y penetrait et le couvercle se rabattait dessus, on introduirait a l’interieur, par un robinet prevu a cet effet, un gaz terrestre inerte et on souderait le bord du couvercle.
Eon etait ravi de l’ingeniosite de cette gamine rousse. Presque du meme age qu’elle, il la traitait avec la tendre familiarite d’un camarade d’ecole. Le piege, perfectionne par les ingenieurs, fut construit en neuf jours de la nuit planetaire.
Erg Noor, de son cote, s’appliquait a regler un robot anthropoide et preparait un puissant burin electro- hydraulique pour percer l’astronef discoide de l’etoile lointaine.
Dans l’obscurite devenue familiere, l’ouragan s’etait calme, le froid avait cede la place a la tiedeur : le « jour » de neuf journees commencait. Il y avait encore du travail pour quatre jours terrestres : l’embarquement des charges ioniques, de provisons et d’instruments de valeur. En outre, Erg Noor tenait a emporter quelques effets personnels de l’equipage disparu, pour les remettre, apres une desinfection soignee, aux familles des defunts. A l’Ere de l’Anneau, les bagages n’etaient guere encombrants, aussi n’eut-on aucun mal a les transferer a bord de la
Au cinquieme jour, on debrancha le courant et le biologiste accompagne de deux volontaires — Key Baer et Ingrid — s’enferma dans le mirador proche de la
Le biologiste s’en approcha, effleura le couvercle et recut a travers le corps une violente decharge qui lui arracha un cri de douleur. Son bras gauche retomba, paralyse.
Taron, le mecanicien, revetit un scaphandre antithermique pour epurer le reservoir ia l’azote terrestre et souder le couvercle. On souda aussi les robinets, puis le reservoir fut enveloppe d’un morceau de toile isolante et place dans la chambre aux collections. La victoire avait coute cher : le biologiste ne recouvrait pas l’usage de son bras, malgre les efforts du medecin. Eon Tal souffrait beaucoup, mais ne voulait pas renoncer a la visite de l’astronef discoide. Erg Noor, qui tenait en haute estime son gout insatiable de la recherche, n’eut pas le courage de le laisser a bord de la