repandait sur l’eau endormie. Dar Veter grimpa dans l’ascenseur qu’on lui avait descendu, se montra un instant sous la carene eclairee du vaisseau et disparut par la trappe. Le matin, il reintegrait son domicile non loin de l’Observatoire du Conseil. Il ouvrit les robinets de soufflage dans les deux pieces. Quelques minutes plus tard, toute la poussiere amassee etait balayee. Dar Veter tira le lit du mur et, apres avoir regle l’atmosphere de la chambre sur l’odeur et le clapotis de la mer, auxquels il etait accoutume, il s’endormit profondement.
Il se reveilla avec la sensation de ne plus gouter le charme de la vie. Veda etait loin et le serait tous ces jours-ci ... jusqu’a ... mais il devait lui venir en aide, au lieu de compliquer les choses !
Une trombe d’eau fraiche electrisee s’abattit sur lui dans la salle de bain. Il y demeura si longtemps qu’il eut froid. Reconforte, il alla ouvrir les battants de verre de l’appareil et appela la station de placement voisine. Un jeune visage apparut sur l’ecran. Le gars reconnut Dar Veter et le salua avec une legere nuance de respect qui etait une marque de politesse raffinee.
— Je voudrais une besogne difficile et longue, declara Dar Veter. Quelque chose qui necessite un travail manuel : les mines antarctiques, par exemple !
— Pas d’emplois vacants ! dit l’autre sur un ton de regret. Il en est de meme pour les gisements de Venus, de Mars et meme de Mercure. Vous savez bien que les jeunes affluent la ou la tache est la plus ardue ...
— Oui, mais je ne peux plus me compter dans cette belle categorie ... Qu’avez-vous a nfe proposer ? Il me faut une occupation immediatement.
— Si vous tenez aux travaux miniers ... il y a les terrains diamantiferes de Siberie Centrale, fit lentement le gars en consul/tant une liste invisible a Dar Veter. Et puis, nous avons les usines flottantes de denrees alimentaires, une station solaire de pompage au Tibet, mais c’est du travail facile. Les autres places ne le sont guere moins !
Dar Veter remercia l’informateur et demanda de lui reserver les mines de diamants, jusqu’a ce qu’il eut reflechi.
Il debrancha la station de placement et prit la Maison de la Siberie, vaste centre d’information geographique. On relia son televisophone a une machine mnemotechnique a enregistrements recents, et il vit defiler d’immenses forets. L’ancienne taiga marecageuse, ou des melezes clairsemes poussaient sur un sol toujours gele, avait cede la place aux geants sylvestres, cedres siberiens et sequoias d’Amerique, dont l’espece etait jadis presque eteinte. Les grands troncs rouges formaient une cloture superbe autour de collines aux sommets betonnes. Des tuyaux en acier de dix metres de diametre sortaient d’en-dessous et franchissaient les lignes de partage des eaux pour rejoindre les rivieres qu’ils engouffraient dans leurs gueules en entonnoir. Les pompes enormes mugissaient sourdement. Des centaines de metres cubes d’eau se precipitaient dans les profondeurs des breches diamantiferes, y tourbillonnaient en rugissant, erodaient la roche et ressortaient en laissant des dizaines de tonnes de diamants sur les grilles des chambres de lavage. Dans de longues salles inondees de lumieres, des gens surveillaient les cadrans mobiles des trieuses. Les pierres scintillantes s’egrenaient par les trous calibres des caisses de reception. Les operateurs des stations de pompage surveillaient sans cesse les indicateurs des machines qui calculaient la resistance variable de la roche, la pression et le debit d’eau, l’approfondissement du front de taille et l’ejection des particules solides. Dar Veter se dit que si la vue riante des bois ensoleilles ne convenait pas a son humeur actuelle, le travail concentre aux pompes ferait son affaire. Il debrancha la Maison de la Siberie. Un signal d’appel retentit aussitot, et l’informateur de la station de placement reparut sur l’ecran.
— Je voudrais savoir ce que vous avez decide. Nous venons de recevoir une offre de place aux mines sous-marines de titane sur la cote occidentale de l’Amerique du Sud. C’est ce que nous avons de plus difficile pour le moment ... mais il faut s’y rendre d’urgence !
Dar Veter s’alarma.
— Je n’aurai pas le temps de passer l’examen a la prochaine station de l’Academie de Psychophysiologie du Travail.
— Les epreuves annuelles necessitees par votre ancien travail vous en dispensent.
— Envoyez la communication et donnez les coordonnees ! repartit vivement Dar Veter.
— Point KM 40, station 6L, ramification sud n° 17, branche ouest de la Voie Spirale. Je lance un avertissement.
Le visage serieux disparut de l’ecran. Dar Veter rassembla ses menus effets personnels, enferma dans un coffret les pellicules ou etaient enregistrees les images et les voix de ses amis, ainsi que ses propres pensees. Il enleva du mur la reproduction chromoreflexe28 d’un vieux tableau russe, prit sur la table une statuette en bronze de l’actrice Bello Gai, qui ressemblait a Veda Kong. Tous ces objets et quelques vetements furent emballes dans une caisse en aluminium dont le couvercle portait des chiffres et des signes lineaires en relief. Dar Veter composa les coordonnees qu’on lui avait indiquees, ouvrit une trappe dans le mur et y poussa la caisse. Elle disparut, entrainee par un ruban sans fin. Puis il inspecta son logement. Bien avant l’epoque de l’Anneau, il n’existait deja plus de personnes chargees specialement de l’entretien des locaux. Ces fonctions etaient remplies par les habitants eux-memes, ce qui exigeait de leur part un soin et une discipline irreprochables, ainsi qu’un amenagement judicieux des logis et des edifices publics, l’automatisme de la ventilation et du nettoyage.
L’inspection terminee, Dar Veter abaissa un levier situe a la porte, pour prevenir la station immobiliere que ses deux pieces etaient disponibles, et s’ea fut ... La veranda vitree de plaques laiteuses etait echauffee par le soleil, mais la brise marine rafraichissait comme toujours le toit en terrasse. Les passerelles pietonnes, jetees entre les batiments en treillis, semblaient flotter dans l’air et inviter a la promenade, mais Dar Veter ne s’appartenait plus. Le tuyau de la descente automatique le conduisit a la poste magneto-electrique souterraine, d’ou un wagonnet actionne aux ondes l’emmena vers la gare de la Voie Spirale. Dar Veter n’alla pas vers le detroit de Behring, ou passait l’arc de jonction de la Branche ouest. Par cet itineraire, le voyage jusqu’a la 17e ramification sud durait pres de quatre jours. Dans les zones habitees Nord et Sud, circulaient des spiropteres de marchandises qui traversaient les oceans et reliaient par le chemin le plus court les branches de la Voie Spirale. Dar Veter suivit la branche centrale jusqu’a la zone Sud, dans l’espoir de persuader le chef des transports aeriens qu’il etait un colis express. Sans compter qu’il gagnait trente heures. Dar Veter pourrait voir le fils de Grom Orm, president du Conseil d’Astronautique, qui l’avait choisi comme mentor.
Le garcon etait devenu grand et devait entreprendre l’ann’ee prochaine ses travaux d’Hercule. En attendant, il travaillait au Service de Surveillance dans les marais d’Afrique Occidentale.
Quelle tache seduisante, pour un jeune, d’etre au Service de Surveillance, de guetter l’apparition des requins dans l’ocean, des insectes nuisibles, .des vampires et des reptiles dans les marecages tropicaux, des microbes morbifiques dans les zones peuplees, des epizooties ou des incendies dans les regions steppiques et forestieres, de deceler et d’aneantir les fleaux terrestres du passe, qui resurgissaient de facon mysterieuse dans les coins perdus de la planete ! La lutte contre les formes nocives de la vie se poursuivait sans treve. Les micro- organismes, les insectes et les champignons reagissaient aux nouveaux moyens de destruction en produisant des especes nouvelles qui defiaient les composes chimiques les plus meurtriers. Ce n’etait qu’apres l’Ere du Monde