Si tu m’as souri, Dieu! tout mon etre bondit!
Si, Madame, au milieu de tous, vous m’avez dit,
A haute voix: «Bonjour, Monsieur», et bas: «Je t’aime!»
Si tu m’as caresse de ton regard supreme,
Je vis! je suis leger, je suis fier, je suis grand;
Ta prunelle m’eclaire en me transfigurant;
J’ai le reflet charmant des yeux dont tu m’accueilles;
Comme on sent dans un bois des ailes sous les feuilles,
On sent de la gaite sous chacun de mes mots;
Je cours, je vais, je ris; plus d’ennuis, plus de maux;
Et je chante, et voila sur mon front la jeunesse!
Mais que ton c?ur injuste, un jour, me meconnaisse;
Qu’il me faille porter en moi, jusqu’a demain,
L’enigme de ta main retiree a ma main;
– Qu’ai-je fait? qu’avait-elle? Elle avait quelque chose.
Pourquoi, dans la rumeur du salon ou l’on cause,
Personne n’entendant, me disait-elle
Si je ne sais quel froid dans ton regard si doux
A passe comme passe au ciel une nuee,
Je sens mon ame en moi toute diminuee;
Je m’en vais, courbe, las, sombre comme un aieul;
Il semble que sur moi, secouant son linceul,
Se soit soudain penche le noir vieillard Decembre;
Comme un loup dans son trou, je rentre dans ma chambre:
Le chagrin – age et deuil, helas! ont le meme air, -
Assombrit chaque trait de mon visage amer,
Et m’y creuse une ride avec sa main pesante.
Joyeux, j’ai vingt-cinq ans; triste, j’en ai soixante.
Paris, juin 18…
IX. En ecoutant les oiseaux
Oh! quand donc aurez-vous fini, petits oiseaux,
De jaser au milieu des branches et des eaux,
Que nous nous expliquions et que je vous querelle?
Rouge-gorge, verdier, fauvette, tourterelle,
Oiseaux, je vous entends, je vous connais. Sachez
Que je ne suis pas dupe, o doux tenors caches,
De votre melodie et de votre langage.
Celle que j’aime est loin et pense a moi: je gage,
O rossignol dont l’hymne, exquis et gracieux,
Donne un fremissement a l’astre dans les cieux,
Que ce que tu dis la, c’est le chant de son ame.
Vous guettez les soupirs de l’homme et de la femme,
Oiseaux; quand nous aimons et quand nous triomphons,
Quand notre etre, tout bas, s’exhale en chants profonds,
Vous, attentifs, parmi les bois inaccessibles,
Vous saisissez au vol ces strophes invisibles,
Et vous les repetez tout haut, comme de vous;
Et vous melez, pour rendre encor l’hymne plus doux,
A la chanson des c?urs, le battement des ailes;
Si bien qu’on vous admire, ecouteurs infideles,
Et que le noir sapin murmure aux vieux tilleuls:
«Sont-ils charmants d’avoir trouve cela tout seuls!»
Et que l’eau, palpitant sous le chant qui l’effleure,
Baise avec un sanglot le beau saule qui pleure;
Et que le dur tronc d’arbre a des airs attendris;
Et que l’epervier reve, oubliant la perdrix;
Et que les loups s’en vont songer aupres des louves!
«Divin!» dit le hibou; le moineau dit: «Tu trouves?»
Amour, lorsqu’en nos c?urs tu te refugias,
L’oiseau vint y puiser; ce sont ces plagiats,
Ces chants qu’un rossignol, belles, prend sur vos bouches
Qui font que les grands bois courbent leurs fronts farouches
Et que les lourds rochers, stupides et ravis,
Se penchent, les laissant piller le chenevis,
Et ne distinguent plus, dans leurs reves etranges,
La langue des oiseaux de la langue des anges.
Caudebec, septembre 183.
X .
Mon bras pressait ta taille frele
Et souple comme le roseau;
Ton sein palpitait comme l’aile
D’un jeune oiseau.
Longtemps muets, nous contemplames
Le ciel ou s’eteignait le jour.
Que se passait-il dans nos ames?
Amour! amour!
Comme un ange qui se devoile,
Tu me regardais, dans ma nuit,
Avec ton beau regard d’etoile,
Qui m’eblouit.
Foret de Fontainebleau, juillet 18…
XI .
Les femmes sont sur la terre
Pour tout idealiser;
L’univers est un mystere
Que commente leur baiser.
C’est l’amour qui, pour ceinture,