Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant;

Nous sommes le regard et le rayonnement;

Le sourire de l’aube et l’odeur de la rose,

C’est nous; l’astre est le nid ou notre aile se pose;

Nous avons l’infini pour sphere et pour milieu,

L’eternite pour age; et, notre amour, c’est Dieu.

Paris, juin 18…

XV. Paroles dans l’ombre

Elle disait: C’est vrai, j’ai tort de vouloir mieux;

Les heures sont ainsi tres doucement passees;

Vous etes la; mes yeux ne quittent pas vos yeux,

Ou je regarde aller et venir vos pensees.

Vous voir est un bonheur; je ne l’ai pas complet.

Sans doute, c’est encor bien charmant de la sorte!

Je veille, car je sais tout ce qui vous deplait,

A ce que nul facheux ne vienne ouvrir la porte;

Je me fais bien petite, en mon coin, pres de vous;

Vous etes mon lion, je suis votre colombe;

J’entends de vos papiers le bruit paisible et doux;

Je ramasse parfois votre plume qui tombe;

Sans doute, je vous ai; sans doute, je vous voi.

La pensee est un vin dont les reveurs sont ivres,

Je le sais; mais, pourtant, je veux qu’on songe a moi.

Quand vous etes ainsi tout un soir dans vos livres,

Sans relever la tete et sans me dire un mot,

Une ombre reste au fond de mon c?ur qui vous aime;

Et, pour que je vous voie entierement, il faut

Me regarder un peu, de temps en temps, vous-meme.

Paris, octobre 18…

XVI .

L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,

Debris ou n’est plus l’homme, ou la vie est toujours;

La fauvette en avril cherche, o ma bien-aimee,

La foret sombre et fraiche et l’epaisse ramee,

La mousse, et, dans les n?uds des branches, les doux toits

Qu’en se superposant font les feuilles des bois.

Ainsi fait l’oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,

Le coin desert, l’abri solitaire et tranquille,

Le seuil qui n’a pas d’yeux obliques et mechants,

La rue ou les volets sont fermes; dans les champs,

Nous cherchons le sentier du patre et du poete;

Dans les bois, la clairiere inconnue et muette

Ou le silence eteint les bruits lointains et sourds.

L’oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.

Fontainebleau, juin 18…

XVII. Sous les arbres

Ils marchaient a cote l’un de l’autre; des danses

Troublaient le bois joyeux; ils marchaient, s’arretaient,

Parlaient, s’interrompaient, et, pendant les silences,

Leurs bouches se taisant, leurs ames chuchotaient.

Ils songeaient; ces deux c?urs, que le mystere ecoute,

Sur la creation au sourire innocent

Penches, et s’y versant dans l’ombre goutte a goutte,

Disaient a chaque fleur quelque chose en passant.

Elle sait tous les noms des fleurs qu’en sa corbeille

Mai nous rapporte avec la joie et les beaux jours;

Elle les lui nommait comme eut fait une abeille,

Puis elle reprenait: «Parlons de nos amours.

Je suis en haut, je suis en bas», lui disait-elle,

«Et je veille sur vous, d’en bas comme d’en haut.»

Il demandait comment chaque plante s’appelle,

Se faisant expliquer le printemps mot a mot.

O champs! il savourait ces fleurs et cette femme.

O bois! o pres! nature ou tout s’absorbe en un,

Le parfum de la fleur est votre petite ame,

Et l’ame de la femme est votre grand parfum!

La nuit tombait; au tronc d’un chene, noir pilastre,

Il s’adossait pensif; elle disait: «Voyez

Ma priere toujours dans vos cieux comme un astre,

Et mon amour toujours comme un chien a tes pieds.»

Juin 18…

XVIII .

Je sais bien qu’il est d’usage

D’aller en tous lieux criant

Que l’homme est d’autant plus sage

Qu’il reve plus de neant;

D’applaudir la grandeur noire,

Les heros, le fer qui luit,

Et la guerre, cette gloire

Qu’on fait avec de la nuit;

D’admirer les coups d’epee,

Et la fortune, ce char

Dont une roue est Pompee,

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