L’eternel est ecrit dans ce qui dure peu;

Toute l’immensite, sombre, bleue, etoilee,

Traverse l’humble fleur, du penseur contemplee;

On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’eblouit.

Le lys que tu comprends en toi s’epanouit;

Les roses que tu lis s’ajoutent a ton ame.

Les fleurs chastes, d’ou sort une invisible flamme,

Sont les conseils que Dieu seme sur le chemin;

C’est l’ame qui les doit cueillir, et non la main.

Ainsi tu fais; aussi l’aube est sur ton front sombre;

Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre

Tu reprends la candeur sublime du berceau. -

Je repondis: – Helas! tu te trompes, oiseau.

Ma chair, faite de cendre, a chaque instant succombe;

Mon ame ne sera blanche que dans la tombe;

Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou mechant.

Et je continuai la lecture du champ.

Juillet 1843.

IX .

Jeune fille, la grace emplit tes dix-sept ans.

Ton regard dit: Matin, et ton front dit: Printemps.

Il semble que ta main porte un lys invisible.

Don Juan te voit passer et murmure: «Impossible!»

Sois belle. Sois benie, enfant, dans ta beaute.

La nature s’egaye a toute ta clarte;

Tu fais une lueur sous les arbres; la guepe

Touche ta joue en fleur de son aile de crepe;

La mouche a tes yeux vole ainsi qu’a des flambeaux.

Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos

Et les marins d’Hydra, s’ils te voyaient sans voiles,

Te prendraient pour l’Aurore aux cheveux pleins d’etoiles.

Les etres de l’azur froncent leur pur sourcil,

Quand l’homme, spectre obscur du mal et de l’exil,

Ose approcher ton ame, aux rayons fiancee.

Sois belle. Tu te sens par l’ombre caressee,

Un ange vient baiser ton pied quand il est nu,

Et c’est ce qui te fait ton sourire ingenu.

Fevrier 1843.

X. Amour

Amour! «Loi», dit Jesus. «Mystere», dit Platon.

Sait-on quel fil nous lie au firmament? Sait-on

Ce que les mains de Dieu dans l’immensite sement?

Est-on maitre d’aimer? Pourquoi deux etres s’aiment,

Demande a l’eau qui court, demande a l’air qui fuit,

Au moucheron qui vole a la flamme la nuit,

Au rayon d’or qui vient baiser la grappe mure!

Demande a ce qui chante, appelle, attend, murmure!

Demande aux nids profonds qu’avril met en emoi!

Le c?ur eperdu crie: Est-ce que je sais, moi?

Cette femme a passe: je suis fou. C’est l’histoire.

Ses cheveux etaient blonds, sa prunelle etait noire;

En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,

Illumination du jour, elle passait;

Elle allait, la charmante, et riait, la superbe;

Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l’herbe;

Un oiseau bleu volait dans l’air, et me parla;

Et comment voulez-vous que j’echappe a cela?

Est-ce que je sais, moi? C’etait au temps des roses;

Les arbres se disaient tout bas de douces choses;

Les ruisseaux l’ont voulu, les fleurs l’ont complote.

J’aime! – O Bodin, Vouglans, Delancre! prevote,

Bailliage, chatelet, grand’chambre, saint-office,

Demandez le secret de ce doux malefice

Aux vents, au frais printemps chassant l’hiver hagard,

Au philtre qu’un regard boit dans l’autre regard,

Au sourire qui reve, a la voix qui caresse,

A ce magicien, a cette charmeresse!

Demandez aux sentiers traitres qui, dans les bois,

Vous font recommencer les memes pas cent fois,

A la branche de mai, cette Armide qui guette,

Et fait tourner sur nous en cercle sa baguette!

Demandez a la vie, a la nature, aux cieux,

Au vague enchantement des champs mysterieux!

Exorcisez le pre tentateur, l’antre, l’orme!

Faites, Cujas au poing, un bon proces en forme

Aux sources dont le c?ur ecoute les sanglots,

Au soupir eternel des forets et des flots.

Dressez proces-verbal contre les paquerettes

Qui laissent les bourdons froisser leurs collerettes;

Instrumentez; tonnez. Prouvez que deux amants

Livraient leur ame aux fleurs, aux bois, aux lacs dormants,

Et qu’ils ont fait un pacte avec la lune sombre,

Avec l’illusion, l’esperance aux yeux d’ombre,

Et l’extase chantant des hymnes inconnus,

Et qu’ils allaient tous deux, des que brillait Venus,

Sur l’herbe que la brise agite par bouffees,

Danser au bleu sabbat de ces nocturnes fees,

Eperdus, possedes d’un adorable ennui,

Elle n’etant plus elle et lui n’etant plus lui!

Quoi! nous sommes encore aux temps ou la Tournelle,

Declarant la magie impie et criminelle,

Вы читаете Les Contemplations
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату