Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.

Saint et grave martyr changeant de chevalet;

Crucifie par vous, bourreaux charmants, il est

Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies;

Ses nuits sont vos hochets et ses jours sont vos proies,

Il porte sur son front votre essaim orageux;

Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux,

Tourbillonnant sur lui comme une apre tempete.

Helas! il est le deuil dont vous etes la fete;

Helas! il est le cri dont vous etes le chant.

Et, qui sait? sans rien dire, austere, et se cachant

De sa bonne action comme d’une mauvaise,

Ce pauvre etre qui reve accoude sur sa chaise,

Mal nourri, mal vetu, qu’un mendiant plaindrait,

Peut-etre a des parents qu’il soutient en secret,

Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,

Des siecles dont sa voix vous traduit les merveilles,

Et de cette sueur qui coule sur sa chair,

Des rubans au printemps, un peu de feu l’hiver,

Pour quelque jeune s?ur ou quelque vieille mere;

Changeant en goutte d’eau la sombre larme amere;

De sorte que, vivant a son ombre sans bruit,

Une colombe vient la boire dans la nuit!

Songez que pour cette ?uvre, enfants, il se devoue,

Brule ses yeux, meurtrit son c?ur, tourne la roue,

Traine la chaine! helas, pour lui, pour son destin,

Pour ses espoirs perdus a l’horizon lointain,

Pour ses v?ux, pour son ame aux fers, pour sa prunelle,

Votre cage d’un jour est prison eternelle!

Songez que c’est sur lui que marchent tous vos pas!

Songez qu’il ne rit pas, songez qu’il ne vit pas!

L’avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie;

Vous vous envolerez demain en pleine vie;

Vous sortirez de l’ombre, il restera. Pour lui,

Demain sera muet et sourd comme aujourd’hui;

Demain, meme en juillet, sera toujours decembre,

Toujours l’etroit preau, toujours la pauvre chambre,

Toujours le ciel glace, gris, blafard, pluvieux;

Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.

Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l’emporte,

Toujours il sera la, seul sous la sombre porte,

Gardant les beaux enfants sous ce mur redoute,

Ayant tout de leur peine et rien de leur gaite.

Oh! que votre pensee aime, console, encense

Ce sublime forcat du bagne d’innocence!

Pesez ce qu’il prodigue avec ce qu’il recoit.

Oh! qu’il se transfigure a vos yeux, et qu’il soit

Celui qui vous grandit, celui qui vous eleve,

Qui donne a vos raisons les deux tranchants du glaive,

Art et science, afin qu’en marchant au tombeau,

Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau!

Oh! qu’il vous soit sacre dans cette tache auguste

De conduire a l’utile, au sage, au grand, au juste,

Vos ames en tumulte a qui le ciel sourit!

Quand les c?urs sont troupeau, le berger est esprit.

Et, pendant qu’il est la, triste, et que dans la classe

Un chuchotement vague endort son ame lasse,

Oh! des poetes purs entr’ouverts sur vos bancs,

Qu’il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,

Qu’il sorte de Platon, qu’il sorte d’Euripide,

Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,

Et d’Eschyle, lion du drame monstrueux,

Et d’Horace, et d’Homere a demi dans les cieux,

Qu’il sorte, pour sa tete aux saints travaux baissee,

Pour l’humble defricheur de la jeune pensee,

Qu’il sorte, pour ce front qui se penche et se fend

Sur ce sillon humain qu’on appelle l’enfant,

De tous ces livres pleins de hautes harmonies,

La benediction sereine des genies!

Juin 1843.

XVII. Chose vue un jour de printemps

Entendant des sanglots, je poussai cette porte.

Les quatre enfants pleuraient et la mere etait morte.

Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.

Sur le grabat gisait le cadavre hagard;

C’etait deja la tombe et deja le fantome.

Pas de feu; le plafond laissait passer le chaume.

Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.

On voyait, comme une aube a travers des brouillards,

Aux levres de la morte un sinistre sourire;

Et l’aine, qui n’avait que six ans, semblait dire:

«Regardez donc cette ombre ou le sort nous a mis!»

Un crime en cette chambre avait ete commis.

Ce crime, le voici: – Sous le ciel qui rayonne,

Une femme est candide, intelligente, bonne;

Dieu, qui la suit d’en haut d’un regard attendri,

La fit pour etre heureuse. Humble, elle a pour mari

Un ouvrier; tous deux, sans aigreur, sans envie,

Tirent d’un pas egal le licou de la vie.

Le cholera lui prend son mari; la voila

Veuve avec la misere et quatre enfants qu’elle a.

Alors, elle se met au labeur comme un homme.

Elle est active, propre, attentive, econome;

Pas de drap a son lit, pas d’atre a son foyer;

Elle ne se plaint pas, sert qui veut l’employer,

Вы читаете Les Contemplations
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату