A sous son fier sourcil les monts, les vastes ombres,
Les etoiles, les pres, le lac serein, les cieux,
Et le mystere obscur des bois silencieux,
Et porte en son ?il calme, ou l’infini commence,
Le regard eternel de la nature immense.
Juin 1842.
XX. Insomnie
Quand une lueur pale a l’orient se leve,
Quand la porte du jour, vague et pareille au reve,
Commence a s’entr’ouvrir et blanchit l’horizon,
Comme l’espoir blanchit le seuil d’une prison,
Se reveiller, c’est bien, et travailler, c’est juste.
Quand le matin a Dieu chante son hymne auguste,
Le travail, saint tribut du par l’homme mortel,
Est la strophe sacree au pied du sombre autel;
Le soc murmure un psaume; et c’est un chant sublime
Qui, des l’aurore, au fond des forets, sur l’abime,
Au bruit de la cognee, au choc des avirons,
Sort des durs matelots et des noirs bucherons.
Mais, au milieu des nuits, s’eveiller! quel mystere!
Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre!
Quand pas un ?il vivant ne veille, pas un feu;
Quand les sept chevaux d’or du grand chariot bleu
Rentrent a l’ecurie et descendent au pole,
Se sentir dans son lit soudain toucher l’epaule
Par quelqu’un d’inconnu qui dit: Allons! c’est moi!
Travaillons! – La chair gronde et demande pourquoi.
– Je dors. Je suis tres las de la course derniere;
Ma paupiere est encor du somme prisonniere;
Maitre mysterieux, grace! que me veux-tu?
Certe, il faut que tu sois un demon bien tetu
De venir m’eveiller toujours quand tout repose!
Aie un peu de raison. Il est encor nuit close;
Regarde, j’ouvre l’?il puisque cela te plait;
Pas la moindre lueur aux fentes du volet;
Va-t’en! je dors, j’ai chaud, je reve a ma maitresse.
Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse,
D’ou pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs.
Va-t’en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs.
Je te tourne le dos, je ne veux pas! decampe!
Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe.
La biche illusion me mangeait dans le creux
De la main; tu l’as fait enfuir. J’etais heureux,
Je ronflais comme un b?uf; laisse-moi. C’est stupide.
Ciel! deja ma pensee, inquiete et rapide,
Fil sans bout, se devide et tourne a ton fuseau.
Tu m’apportes un vers, etrange et fauve oiseau
Que tu viens de saisir dans les pales nuees.
Je n’en veux pas. Le vent, de ses tristes huees,
Emplit l’antre des cieux; les souffles, noirs dragons,
Passent en secouant ma porte sur ses gonds.
– Paix-la! va-t’en, bourreau! quant au vers, je le lache. -
Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lache;
Voyons, menage un peu ton pauvre compagnon.
Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir!
– Non!
Est-ce que je dors, moi? dit l’idee implacable.
Penseur, subis ta loi; forcat, tire ton cable.
Quoi! cette bete a gout au vil foin du sommeil!
L’orient est pour moi toujours clair et vermeil.
Que m’importe le corps! qu’il marche, souffre et meure!
Horrible esclave, allons, travaille! c’est mon heure.
Et l’ange etreint Jacob, et l’ame tient le corps;
Nul moyen de lutter; et tout revient alors,
Le drame commence dont l’ebauche frissonne,
Ruy Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne,
Ou le roman pleurant avec des yeux humains,
Ou l’ode qui s’enfonce en deux profonds chemins,
Dans l’azur pres d’Horace et dans l’ombre avec Dante;
Il faut dans ces labeurs rentrer la tete ardente;
Dans ces grands horizons subitement rouverts,
Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers,
S’en aller devant soi, pensif, ivre de l’ombre;
Il faut, reveur nocturne en proie a l’esprit sombre,
Gravir le dur sentier de l’inspiration;
Poursuivre la lointaine et blanche vision,
Traverser, effare, les clairieres desertes,
Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes,
Et franchir la foret, le torrent, le hallier,
Noir cheval galopant sous le noir cavalier.
1843, nuit.
XXI. Ecrit sur la plinthe d’un bas-relief antique
– A Mademoiselle Louise B. -
La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.
Rumeur de la galere aux flancs laves par l’onde,
Bruits des villes, pitie de la s?ur pour la s?ur,
Passion des amants jeunes et beaux, douceur
Des vieux epoux uses ensemble par la vie,
Fanfare de la plaine emaillee et ravie,
Mots echanges le soir sur les seuils fraternels,
Sombre tressaillement des chenes eternels,