Lui dressait un bucher par arret de la cour,
Et le dernier sorcier qu’on brule, c’est l’Amour!
Juillet 1843.
XI.?
Une terre au flanc maigre, apre, avare, inclement,
Ou les vivants pensifs travaillent tristement,
Et qui donne a regret a cette race humaine
Un peu de pain pour tant de labeur et de peine;
Des hommes durs, eclos sur ces sillons ingrats;
Des cites d’ou s’en vont, en se tordant les bras,
La charite, la paix, la foi, s?urs venerables;
L’orgueil chez les puissants et chez les miserables;
La haine au c?ur de tous; la mort, spectre sans yeux,
Frappant sur les meilleurs des coups mysterieux;
Sur tous les hauts sommets des brumes repandues;
Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues;
Toutes les passions engendrant tous les maux;
Des forets abritant des loups sous leurs rameaux;
La le desert torride, ici les froids polaires;
Des oceans emus de subites coleres,
Pleins de mats frissonnants qui sombrent dans la nuit;
Des continents couverts de fumee et de bruit,
Ou, deux torches aux mains, rugit la guerre infame,
Ou toujours quelque part fume une ville en flamme,
Ou se heurtent sanglants les peuples furieux; -
Et que tout cela fasse un astre dans les cieux!
Octobre 1840.
XII. Explication
La terre est au soleil ce que l’homme est a l’ange.
L’un est fait de splendeur; l’autre est petri de fange.
Toute etoile est soleil; tout astre est paradis.
Autour des globes purs sont les mondes maudits;
Et dans l’ombre, ou l’esprit voit mieux que la lunette,
Le soleil paradis traine l’enfer planete.
L’ange habitant de l’astre est faillible; et, seduit,
Il peut devenir l’homme habitant de la nuit.
Voila ce que le vent m’a dit sur la montagne.
Tout globe obscur gemit; toute terre est un bagne
Ou la vie en pleurant, jusqu’au jour du reveil,
Vient ecrouer l’esprit qui tombe du soleil.
Plus le globe est lointain, plus le bagne est terrible.
La mort est la, vannant les ames dans un crible,
Qui juge, et, de la vie invisible temoin,
Rapporte l’ange a l’astre ou le jette plus loin.
O globes sans rayons et presque sans aurores!
Enorme Jupiter fouette de meteores,
Mars qui semble de loin la bouche d’un volcan,
O nocturne Uranus, o Saturne au carcan!
Chatiments inconnus! redemptions! mysteres!
Deuils! o lunes encor plus mortes que les terres!
Ils souffrent; ils sont noirs; et qui sait ce qu’ils font?
L’ombre entend par moments leur cri rauque et profond,
Comme on entend, le soir, la plainte des cigales.
Mondes spectres, tirant des chaines inegales,
Ils vont, blemes, pareils au reve qui s’enfuit.
Rougis confusement d’un reflet dans la nuit,
Implorant un messie, esperant des apotres,
Seuls, separes, les uns en arriere des autres,
Tristes, echeveles par des souffles hagards,
Jetant a la clarte de farouches regards,
Ceux-ci, vagues, roulant dans les profondeurs mornes,
Ceux-la, presque engloutis dans l’infini sans bornes,
Tenebreux, frissonnants, froids, glaces, pluvieux,
Autour du paradis ils tournent envieux;
Et, du soleil, parmi les brumes et les ombres,
On voit passer au loin toutes ces faces sombres.
Novembre 1840.
XIII. La chouette
Une chouette etait sur la porte clouee;
Larve de l’ombre au toit des hommes echouee.
La nature, qui mele une ame aux rameaux verts,
Qui remplit tout, et vit, a des degres divers,
Dans la bete sauvage et la bete de somme,
Toujours en dialogue avec l’esprit de l’homme,
Lui donne a dechiffrer les animaux, qui sont
Ses signes, alphabet formidable et profond;
Et, sombre, ayant pour mots l’oiseau, le ver, l’insecte,
Parle deux langues: l’une, admirable et correcte,
L’autre, obscur begaiement. L’elephant aux pieds lourds,
Le lion, ce grand front de l’antre, l’aigle, l’ours,
Le taureau, le cheval, le tigre au bond superbe,
Sont le langage altier et splendide, le verbe;
Et la chauve-souris, le crapaud, le putois,
Le crabe, le hibou, le porc, sont le patois.
Or, j’etais la, pensif, bienveillant, presque tendre,
Epelant ce squelette, et tachant de comprendre
Ce qu’entre les trois clous ou son spectre pendait,