Aux vivants, aux souffrants, au b?uf triste, au baudet,
Disait, helas! la pauvre et sinistre chouette,
Du cote noir de l’etre informe silhouette.
Elle disait:
– Sur son front sombre
Comme la brume se repand!
Il remplit tout le fond de l’ombre.
Comme sa tete morte pend!
De ses yeux coulent ses pensees.
Ses pieds troues, ses mains percees
Bleuissent a l’air glacial.
Oh! comme il saigne dans le gouffre!
Lui qui faisait le bien, il souffre
Comme moi qui faisais le mal.
Une lumiere a son front tremble.
Et la nuit dit au vent: Soufflons
Sur cette flamme! et, tous ensemble,
Les tenebres, les aquilons,
La pluie et l’horreur, froides bouches,
Soufflent, hagards, hideux, farouches,
Et dans la tempete et le bruit
La clarte reparait grandie… -
Tu peux eteindre un incendie,
Mais pas une aureole, o nuit!
Cette ame arriva sur la terre,
Qu’assombrit le soir incertain;
Elle entra dans l’obscur mystere
Que l’homme appelle son destin;
Au mensonge, aux forfaits sans nombre,
A tout l’horrible essaim de l’ombre,
Elle livrait de saints combats;
Elle volait, et ses prunelles
Semblaient deux lueurs eternelles
Qui passaient dans la nuit d’en bas.
Elle allait parmi les tenebres,
Poursuivant, chassant, devorant
Les vices, ces taupes funebres,
Le crime, ce phalene errant;
Arrachant de leurs trous la haine,
L’orgueil, la fraude qui se traine,
L’apre envie, aspic du chemin,
Les vers de terre et les viperes,
Que la nuit cache dans les pierres
Et le mal dans le c?ur humain!
Elle cherchait ces infideles,
L’Achab, le Nemrod, le Mathan,
Que, dans son temple et sous ses ailes,
Rechauffe le faux dieu Satan,
Les vendeurs caches sous les porches,
Le bruleur allumant ses torches
Au meme feu que l’encensoir;
Et, quand elle l’avait trouvee,
Toute la sinistre couvee
Se herissait sous l’autel noir.
Elle allait, delivrant les hommes
De leurs ennemis tenebreux;
Les hommes, noirs comme nous sommes,
Prirent l’esprit luttant pour eux;
Puis ils clouerent, les infames,
L’ame qui defendait leurs ames,
L’etre dont l’?il jetait du jour;
Et leur foule, dans sa demence,
Railla cette chouette immense
De la lumiere et de l’amour!
Race qui frappes et lapides,
Je te plains! hommes, je vous plains!
Helas! je plains vos poings stupides,
D’affreux clous et de marteaux pleins!
Vous persecutez pele-mele
Le mal, le bien, la griffe et l’aile,
Chasseurs sans but, bourreaux sans yeux!
Vous clouez de vos mains mal sures
Les hiboux au seuil des masures,
Et Christ sur la porte des cieux!
Mai 1843.
XIV. A la mere de l’enfant mort
Oh! vous aurez trop dit au pauvre petit ange
Qu’il est d’autres anges la-haut,
Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n’y change,
Qu’il est doux d’y rentrer bientot;
Que le ciel est un dome aux merveilleux pilastres,
Une tente aux riches couleurs,
Un jardin bleu rempli de lis qui sont des astres,
Et d’etoiles qui sont des fleurs;
Que c’est un lieu joyeux plus qu’on ne saurait dire,
Ou toujours, se laissant charmer,
On a les cherubins pour jouer et pour rire,
Et le bon Dieu pour nous aimer;
Qu’il est doux d’etre un c?ur qui brule comme un cierge,
Et de vivre, en toute saison,
Pres de l’enfant Jesus et de la sainte Vierge
Dans une si belle maison!