Que des cailloux meles, sans qu’on les reconnaisse,

Aux pierres du chemin!

Insenses! a quoi bon cette guerre apre et rude,

Ce duel, ce talion?… -

Je vis en paix, moi, l’aigle, en cette solitude

Avec lui, le lion.

Nous venons tous deux boire a la meme fontaine,

Rois dans les memes lieux;

Je lui laisse le bois, la montagne et la plaine,

Et je garde les cieux.

Octobre 1846.

VII. La statue

Quand l’Empire romain tomba desespere,

– Car, o Rome, l’abime ou Carthage a sombre

Attendait que tu la suivisses! -

Quand, n’ayant rien en lui de grand qu’il n’eut brise,

Ce monde agonisa, triste, ayant epuise

Tous les Cesars et tous les vices;

Quand il expira, vide et riche comme Tyr;

Tas d’esclaves ayant pour gloire de sentir

Le pied du maitre sur leurs nuques;

Ivre de vin, de sang et d’or; continuant

Caton par Tigellin, l’astre par le neant,

Et les geants par les eunuques;

Ce fut un noir spectacle et dont on s’enfuyait.

Le pale cenobite y songeait, inquiet,

Dans les antres visionnaires;

Et, pendant trois cents ans, dans l’ombre on entendit

Sur ce monde damne, sur ce festin maudit,

Un ecroulement de tonnerres.

Et Luxure, Paresse, Envie, Orgie, Orgueil,

Avarice et Colere, au-dessus de ce deuil,

Planerent avec des huees;

Et, comme des eclairs sous le plafond des soirs,

Les glaives monstrueux des sept archanges noirs

Flamboyerent dans les nuees.

Juvenal, qui peignit ce gouffre universel,

Est statue aujourd’hui; la statue est de sel,

Seule sous le nocturne dome;

Pas un arbre a ses pieds; pas d’herbe et de rameaux;

Et dans son ?il sinistre on lit ces sombres mots:

Pour avoir regarde Sodome.

Fevrier 1843.

VIII .

Je lisais. Que lisais-je? Oh! le vieux livre austere,

Le poeme eternel! – La Bible? – Non, la terre.

Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,

Lisait les vers d’Homere, et moi les fleurs de Dieu.

J’epelle les buissons, les brins d’herbe, les sources;

Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses

Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.

Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayes,

Et j’etudie a fond le texte, et je me penche,

Cherchant a dechiffrer la corolle et la branche.

Donc, courbe, – c’est ainsi qu’en marchant je traduis

La lumiere en idee, en syllabes les bruits, -

J’etais en train de lire un champ, page fleurie.

Je fus interrompu dans cette reverie;

Un doux martinet noir avec un ventre blanc

Me parlait; il disait: – O pauvre homme, tremblant

Entre le doute morne et la foi qui delivre,

Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.

Lis toujours, lis sans cesse, o penseur agite,

Et que les champs profonds t’emplissent de clarte!

Il est sain de toujours feuilleter la nature,

Car c’est la grande lettre et la grande ecriture;

Car la terre, cantique ou nous nous abimons,

A pour versets les bois et pour strophes les monts!

Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme

Qui, bien questionne par l’ame, ne se nomme.

Medite. Tout est plein de jour, meme la nuit;

Et tout ce qui travaille, eclaire, aime ou detruit,

A des rayons: la roue au dur moyeu, l’etoile,

La fleur, et l’araignee au centre de sa toile.

Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.

Les plaines ou le ciel aide l’herbe a germer,

L’eau, les pres, sont autant de phrases ou le sage

Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.

Marche au vrai. Le reel, c’est le juste, vois-tu;

Et voir la verite, c’est trouver la vertu.

Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.

Le monde est l’?uvre ou rien ne ment et ne devie,

Et dont les mots sacres repandent de l’encens.

L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.

Oui, la creation tout entiere, les choses,

Les etres, les rapports, les elements, les causes,

Rameaux dont le ciel clair perce le reseau noir,

L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,

La bete, le rocher, l’epi d’or, l’aile peinte,

Tout cet ensemble obscur, vegetation sainte,

Compose en se croisant ce chiffre enorme: DIEU.

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