Bagne du ciel! prison dont le soupirail luit!

Monde en proie a la brume, aux souffles, aux tenebres!

Enfer fait d’hiver et de nuit!

Son atmosphere flotte en zones tortueuses.

Deux anneaux flamboyants, tournant avec fureur,

Font, dans son ciel d’airain, deux arches monstrueuses

D’ou tombe une eternelle et profonde terreur.

Ainsi qu’une araignee au centre de sa toile,

Il tient sept lunes d’or qu’il lie a ses essieux;

Pour lui, notre soleil, qui n’est plus qu’une etoile,

Se perd, sinistre, au fond des cieux!

Les autres univers, l’entrevoyant dans l’ombre,

Se sont epouvantes de ce globe hideux.

Tremblants, ils l’ont peuple de chimeres sans nombre,

En le voyant errer formidable autour d’eux!

IV

Oh! ce serait vraiment un mystere sublime

Que ce ciel si profond, si lumineux, si beau,

Qui flamboie a nos yeux ouvert comme un abime,

Fut l’interieur du tombeau!

Que tout se revelat a nos paupieres closes!

Que, morts, ces grands destins nous fussent reserves!…

Qu’en est-il de ce reve et de bien d’autres choses?

Il est certain, Seigneur, que seul vous le savez.

V

Il est certain aussi que, jadis, sur la terre,

Le patriarche, emu d’un redoutable effroi,

Et les saints qui peuplaient la Thebaide austere

Ont fait des songes comme moi;

Que, dans sa solitude auguste, le prophete

Voyait, pour son regard plein d’etranges rayons,

Par la meme felure aux realites faite,

S’ouvrir le monde obscur des pales visions;

Et qu’a l’heure ou le jour devant la nuit recule,

Ces sages que jamais l’homme, helas! ne comprit,

Melaient, silencieux, au morne crepuscule

Le trouble de leur sombre esprit;

Tandis que l’eau sortait des sources cristallines,

Et que les grands lions, de moments en moments,

Vaguement apparus au sommet des collines,

Poussaient dans le desert de longs rugissements!

Avril 1839.

IV. Ecrit au bas d’un crucifix

Vous qui pleurez, venez a ce Dieu, car il pleure.

Vous qui souffrez, venez a lui, car il guerit.

Vous qui tremblez, venez a lui, car il sourit.

Vous qui passez, venez a lui, car il demeure.

Mars 1842.

V. Quia pulvis es

Ceux-ci partent, ceux-la demeurent.

Sous le sombre aquilon, dont les mille voix pleurent,

Poussiere et genre humain, tout s’envole a la fois.

Helas! le meme vent souffle, en l’ombre ou nous sommes,

Sur toutes les tetes des hommes,

Sur toutes les feuilles des bois.

Ceux qui restent a ceux qui passent

Disent: – Infortunes! deja vos fronts s’effacent.

Quoi! vous n’entendrez plus la parole et le bruit!

Quoi! vous ne verrez plus ni le ciel ni les arbres!

Vous allez dormir sous les marbres!

Vous allez tomber dans la nuit! -

Ceux qui passent a ceux qui restent

Disent: – Vous n’avez rien a vous! vos pleurs l’attestent!

Pour vous, gloire et bonheur sont des mots decevants.

Dieu donne aux morts les biens reels, les vrais royaumes.

Vivants! vous etes des fantomes;

C’est nous qui sommes les vivants! -

Fevrier 1843.

VI. La source

Un lion habitait pres d’une source; un aigle

Y venait boire aussi.

Or, deux heros un jour, deux rois – souvent Dieu regle

La destinee ainsi -

Vinrent a cette source, ou des palmiers attirent

Le passant hasardeux,

Et, s’etant reconnus, ces hommes se battirent

Et tomberent tous deux.

L’aigle, comme ils mouraient, vint planer sur leurs tetes,

Et leur dit, rayonnant:

– Vous trouviez l’univers trop petit, et vous n’etes

Qu’une ombre maintenant!

O princes! et vos os, hier pleins de jeunesse,

Ne seront plus demain

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