Le bal reprend haleine; on s’interrompt, on fuit,

On erre, deux a deux, sous les arbres sans bruit;

Puis, folle, et rappelant les ombres eloignees,

La musique, jetant les notes a poignees,

Revient, et les regards s’allument, et l’archet,

Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.

O delire! et, d’encens et de bruit enivrees,

L’heure emporte en riant les rapides soirees.

Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.

D’autres, toute la nuit, roulent les des joyeux,

Ou bien, apre, et melant les cartes qu’ils caressent,

Ou des spectres riants ou sanglants apparaissent,

Leur soif de l’or, penchee autour d’un tapis vert,

Jusqu’a ce qu’au volet le jour baille entr’ouvert,

Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l’hombre;

Et, pendant qu’on gemit et qu’on fremit dans l’ombre,

Pendant que les greniers grelottent sous les toits,

Que les fleuves, passants pleins de lugubres voix,

Heurtent aux grands quais blancs les glacons qu’ils charrient,

Tous ces hommes contents de vivre, boivent, rient,

Chantent; et, par moments, on voit, au-dessus d’eux,

Deux poteaux soutenant un triangle hideux,

Qui sortent lentement du noir pave des villes… -

O forets! bois profonds! solitudes! asiles!

Paris, juillet 1838.

III. Saturne

I

Il est des jours de brume et de lumiere vague,

Ou l’homme, que la vie a chaque instant confond,

Etudiant la plante, ou l’etoile, ou la vague,

S’accoude au bord croulant du probleme sans fond;

Ou le songeur, pareil aux antiques augures,

Cherchant Dieu, que jadis plus d’un voyant surprit,

Medite en regardant fixement les figures

Qu’on a dans l’ombre de l’esprit;

Ou, comme en s’eveillant on voit, en reflets sombres,

Des spectres du dehors errer sur le plafond,

Il sonde le destin, et contemple les ombres

Que nos reves jetes parmi les choses font!

Des heures ou, pourvu qu’on ait a sa fenetre

Une montagne, un bois, l’ocean qui dit tout,

Le jour pret a mourir ou l’aube prete a naitre,

En soi-meme on voit tout a coup

Sur l’amour, sur les biens qui tous nous abandonnent,

Sur l’homme, masque vide et fantome rieur,

Eclore des clartes effrayantes qui donnent

Des eblouissements a l’?il interieur;

De sorte qu’une fois que ces visions glissent

Devant notre paupiere en ce vallon d’exil,

Elles n’en sortent plus et pour jamais emplissent

L’arcade sombre du sourcil!

II

Donc, puisque j’ai parle de ces heures de doute

Ou l’un trouve le calme et l’autre le remords.

Je ne cacherai pas au peuple qui m’ecoute

Que je songe souvent a ce que font les morts;

Et que j’en suis venu – tant la nuit etoilee

A fatigue de fois mes regards et mes v?ux,

Et tant une pensee inquiete est melee

Aux racines de mes cheveux! -

A croire qu’a la mort, continuant sa route,

L’ame, se souvenant de son humanite,

Envolee a jamais sous la celeste voute,

A franchir l’infini passait l’eternite!

Et que les morts voyaient l’extase et la priere,

Nos deux rayons, pour eux grandir bien plus encor,

Et qu’ils etaient pareils a la mouche ouvriere,

Au vol rayonnant, aux pieds d’or,

Qui, visitant les fleurs pleines de chastes gouttes,

Semble une ame visible en ce monde reel,

Et, leur disant tout bas quelque mystere a toutes,

Leur laisse le parfum en leur prenant le miel!

Et qu’ainsi, faits vivants par le sepulcre meme,

Nous irons tous un jour, dans l’espace vermeil,

Lire l’?uvre infinie et l’eternel poeme,

Vers a vers, soleil a soleil!

Admirer tout systeme en ses formes fecondes,

Toute creation dans sa variete,

Et comparant a Dieu chaque face des mondes,

Avec l’ame de tout confronter leur beaute!

Et que chacun ferait ce voyage des ames,

Pourvu qu’il ait souffert, pourvu qu’il ait pleure.

Tous! hormis les mechants, dont les esprits infames

Sont comme un livre dechire.

Ceux-la, Saturne, un globe horrible et solitaire,

Les prendra pour le temps ou Dieu voudra punir,

Chaties a la fois par le ciel et la terre,

Par l’aspiration et par le souvenir!

III

Saturne! sphere enorme! astre aux aspects funebres!

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