Je voulais me briser le front sur le pave;

Puis je me revoltais, et, par moments, terrible,

Je fixais mes regards sur cette chose horrible,

Et je n’y croyais pas, et je m’ecriais: Non!

– Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom

Qui font que dans le c?ur le desespoir se leve? -

Il me semblait que tout n’etait qu’un affreux reve,

Qu’elle ne pouvait pas m’avoir ainsi quitte,

Que je l’entendais rire en la chambre a cote,

Que c’etait impossible enfin qu’elle fut morte,

Et que j’allais la voir entrer par cette porte!

Oh! que de fois j’ai dit: Silence! elle a parle!

Tenez! voici le bruit de sa main sur la cle!

Attendez! elle vient! laissez-moi, que j’ecoute!

Car elle est quelque part dans la maison sans doute!

Jersey, Marine-Terrace, 4 septembre 1852.

V .

Elle avait pris ce pli dans son age enfantin

De venir dans ma chambre un peu chaque matin;

Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espere;

Elle entrait et disait: «Bonjour, mon petit pere «;

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait

Sur mon lit, derangeait mes papiers, et riait,

Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe.

Alors, je reprenais, la tete un peu moins lasse,

Mon ?uvre interrompue, et, tout en ecrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu’elle avait tracee,

Et mainte page blanche entre ses mains froissee

Ou, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.

Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les pres verts,

Et c’etait un esprit avant d’etre une femme.

Son regard refletait la clarte de son ame.

Elle me consultait sur tout a tous moments.

Oh! que de soirs d’hiver radieux et charmants,

Passes a raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupes sur mes genoux, leur mere

Tout pres, quelques amis causant au coin du feu!

J’appelais cette vie etre content de peu!

Et dire qu’elle est morte! helas! que Dieu m’assiste!

Je n’etais jamais gai quand je la sentais triste;

J’etais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

Novembre 1846, jour des morts.

VI .

Quand nous habitions tous ensemble

Sur nos collines d’autrefois,

Ou l’eau court, ou le buisson tremble,

Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente;

J’etais pour elle l’univers.

Oh! comme l’herbe est odorante

Sous les arbres profonds et verts!

Elle faisait mon sort prospere,

Mon travail leger, mon ciel bleu.

Lorsqu’elle me disait: Mon pere,

Tout mon c?ur s’ecriait: Mon Dieu!

A travers mes songes sans nombre,

J’ecoutais son parler joyeux,

Et mon front s’eclairait dans l’ombre

A la lumiere de ses yeux.

Elle avait l’air d’une princesse

Quand je la tenais par la main;

Elle cherchait des fleurs sans cesse

Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on derobe,

En se cachant aux yeux de tous.

Oh! la belle petite robe

Qu’elle avait, vous rappelez-vous?

Le soir, aupres de ma bougie,

Elle jasait a petit bruit,

Tandis qu’a la vitre rougie

Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle.

Que son bonjour etait charmant!

Le ciel mettait dans sa prunelle

Ce regard qui jamais ne ment.

Oh! je l’avais, si jeune encore,

Vue apparaitre en mon destin!

C’etait l’enfant de mon aurore,

Et mon etoile du matin!

Quand la lune claire et sereine

Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,

Comme nous allions dans la plaine!

Comme nous courions dans les bois!

Puis, vers la lumiere isolee

Etoilant le logis obscur,

Nous revenions par la vallee

En tournant le coin du vieux mur;

Nous revenions, c?urs pleins de flamme,

En parlant des splendeurs du ciel.

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