Jouer le matin doucement.

Elle courait dans la rosee,

Sans bruit, de peur de m’eveiller;

Moi, je n’ouvrais pas ma croisee,

De peur de la faire envoler.

Ses freres riaient… – Aube pure!

Tout chantait sous ces frais berceaux,

Ma famille avec la nature,

Mes enfants avec les oiseaux! -

Je toussais, on devenait brave;

Elle montait a petits pas,

Et me disait d’un air tres grave:

«J’ai laisse les enfants en bas.»

Qu’elle fut bien ou mal coiffee,

Que mon c?ur fut triste ou joyeux,

Je l’admirais. C’etait ma fee,

Et le doux astre de mes yeux!

Nous jouions toute la journee.

O jeux charmants! chers entretiens!

Le soir, comme elle etait l’ainee,

Elle me disait: «Pere, viens!

Nous allons t’apporter ta chaise,

Conte-nous une histoire, dis!» -

Et je voyais rayonner d’aise

Tous ces regards du paradis.

Alors, prodiguant les carnages,

J’inventais un conte profond

Dont je trouvais les personnages

Parmi les ombres du plafond.

Toujours, ces quatre douces tetes

Riaient, comme a cet age on rit,

De voir d’affreux geants tres betes

Vaincus par des nains pleins d’esprit.

J’etais l’Arioste et l’Homere

D’un poeme eclos d’un seul jet;

Pendant que je parlais, leur mere

Les regardait rire, et songeait.

Leur aieul, qui lisait dans l’ombre,

Sur eux parfois levait les yeux,

Et, moi, par la fenetre sombre

J’entrevoyais un coin des cieux!

Villequier, 4 septembre 1846.

X .

Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,

Demande son chemin aux constellations;

Pendant que le berger, l’?il plein de visions,

Cherche au milieu des bois son etoile et sa route;

Pendant que l’astronome, inonde de rayons,

Pese un globe a travers des millions de lieues,

Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.

Mais que ce saphir sombre est un abime obscur!

On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues

Des anges frissonnants qui glissent dans l’azur.

Avril 1847.

XI .

On vit, on parle, on a le ciel et les nuages

Sur la tete; on se plait aux livres des vieux sages;

On lit Virgile et Dante; on va joyeusement

En voiture publique a quelque endroit charmant,

En riant aux eclats de l’auberge et du gite;

Le regard d’une femme en passant vous agite;

On aime, on est aime, bonheur qui manque aux rois!

On ecoute le chant des oiseaux dans les bois;

Le matin, on s’eveille, et toute une famille

Vous embrasse, une mere, une s?ur, une fille!

On dejeune en lisant son journal. Tout le jour

On mele a sa pensee espoir, travail, amour;

La vie arrive avec ses passions troublees;

On jette sa parole aux sombres assemblees;

Devant le but qu’on veut et le sort qui vous prend,

On se sent faible et fort, on est petit et grand;

On est flot dans la foule, ame dans la tempete;

Tout vient et passe; on est en deuil, on est en fete;

On arrive, on recule, on lutte avec effort… -

Puis, le vaste et profond silence de la mort!

11 juillet 1846, en revenant du cimetiere.

XII. A quoi songeaient les deux cavaliers dans la foret

La nuit etait fort noire et la foret tres sombre.

Hermann a mes cotes me paraissait une ombre.

Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu!

Les nuages du ciel ressemblaient a des marbres.

Les etoiles volaient dans les branches des arbres

Comme un essaim d’oiseaux de feu.

Je suis plein de regrets. Brise par la souffrance,

L’esprit profond d’Hermann est vide d’esperance.

Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez!

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