Dans les afflictions,
Ait presente a l’esprit la serenite sombre
Des constellations!
Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mere,
Je me courbe a vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens eclaire dans ma douleur amere
Par un meilleur regard jete sur l’univers.
Seigneur, je reconnais que l’homme est en delire,
S’il ose murmurer;
Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer!
Helas! laissez les pleurs couler de ma paupiere,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela!
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire a mon enfant: Sens-tu que je suis la?
Laissez-moi lui parler, incline sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux celestes,
Cet ange m’ecoutait!
Helas! vers le passe tournant un ?il d’envie,
Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Ou je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler!
Je verrai cet instant jusqu’a ce que je meure,
L’instant, pleurs superflus!
Ou je criai: L’enfant que j’avais tout a l’heure,
Quoi donc! je ne l’ai plus!
Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
O mon Dieu! cette plaie a si longtemps saigne!
L’angoisse dans mon ame est toujours la plus forte,
Et mon c?ur est soumis, mais n’est pas resigne.
Ne vous irritez pas! fronts que le deuil reclame,
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaise de retirer notre ame
De ces grandes douleurs.
Voyez-vous, nos enfants nous sont bien necessaires,
Seigneur; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des miseres,
Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,
Apparaitre un enfant, tete chere et sacree,
Petit etre joyeux,
Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir a son entree
Une porte des cieux;
Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-meme
Croitre la grace aimable et la douce raison,
Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime
Fait le jour dans notre ame et dans notre maison,
Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu’on reva,
Considerez que c’est une chose bien triste
De le voir qui s’en va!
Villequier, 4 septembre 1847.
XVI. Mors
Je vis cette faucheuse. Elle etait dans son champ.
Elle allait a grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crepuscule.
Dans l’ombre ou l’on dirait que tout tremble et recule,
L’homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient; elle changeait en desert Babylone,
Le trone en echafaud et l’echafaud en trone,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L’or en cendre, et les yeux des meres en ruisseaux.
Et les femmes criaient: – Rends-nous ce petit etre.
Pour le faire mourir, pourquoi l’avoir fait naitre? -
Ce n’etait qu’un sanglot sur terre, en haut, en bas;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre;
Les peuples eperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l’ombre s’enfuit;
Tout etait sous ses pieds deuil, epouvante et nuit.
Derriere elle, le front baigne de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d’ames.
Mars 1854.
XVII. Charles Vacquerie
Il ne sera pas dit que ce jeune homme, o deuil!
Se sera de ses mains ouvert l’affreux cercueil
Ou sejourne l’ombre abhorree,
Helas! et qu’il aura lui-meme dans la mort
De ses jours genereux, encor pleins jusqu’au bord,
Renverse la coupe doree,
Et que sa mere, pale et perdant la raison,
Aura vu rapporter au seuil de sa maison,
Sous un suaire aux plis funebres,
Ce fils, naguere encor pareil au jour qui nait,
Maintenant bleme et froid, tel que la mort venait
De le faire pour les tenebres;
Il ne sera pas dit qu’il sera mort ainsi,
Qu’il aura, c?ur profond et par l’amour saisi,
Donne sa vie a ma colombe,
Et qu’il l’aura suivie au lieu morne et voile,