Sans que la voix du pere a genoux ait parle
A cette ame dans cette tombe!
En presence de tant d’amour et de vertu,
Il ne sera pas dit que je me serai tu,
Moi qu’attendent les maux sans nombre!
Que je n’aurai point mis sur sa biere un flambeau,
Et que je n’aurai pas devant son noir tombeau
Fait asseoir une strophe sombre!
N’ayant pu la sauver, il a voulu mourir.
Sois beni, toi qui, jeune, a l’age ou vient s’offrir
L’esperance joyeuse encore,
Pouvant rester, survivre, epuiser tes printemps,
Ayant devant les yeux l’azur de tes vingt ans
Et le sourire de l’aurore,
A tout ce que promet la jeunesse, aux plaisirs,
Aux nouvelles amours, aux oublieux desirs
Par qui toute peine est bannie,
A l’avenir, tresor des jours a peine eclos,
A la vie, au soleil, preferas sous les flots
L’etreinte de cette agonie!
Oh! quelle sombre joie a cet etre charmant
De se voir embrassee au supreme moment,
Par ton doux desespoir fidele!
La pauvre ame a souri dans l’angoisse, en sentant
A travers l’eau sinistre et l’effroyable instant
Que tu t’en venais avec elle!
Leurs ames se parlaient sous les vagues rumeurs.
– Que fais-tu? disait-elle. – Et lui, disait: – Tu meurs;
Il faut bien aussi que je meure! -
Et, les bras enlaces, doux couple frissonnant,
Ils se sont en alles dans l’ombre; et, maintenant,
On entend le fleuve qui pleure.
Puisque tu fus si grand, puisque tu fus si doux
Que de vouloir mourir, jeune homme, amant, epoux,
Qu’a jamais l’aube en ta nuit brille!
Aie a jamais sur toi l’ombre de Dieu penche!
Sois beni sous la pierre ou te voila couche!
Dors, mon fils, aupres de ma fille!
Sois beni! que la brise et que l’oiseau des bois,
Passants mysterieux, de leur plus douce voix
Te parlent dans ta maison sombre!
Que la source te pleure avec sa goutte d’eau!
Que le frais liseron se glisse en ton tombeau
Comme une caresse de l’ombre!
Oh! s’immoler, sortir avec l’ange qui sort,
Suivre ce qu’on aima dans l’horreur de la mort,
Dans le sepulcre ou sur les claies,
Donner ses jours, son sang et ses illusions!… -
Jesus baise en pleurant ces saintes actions
Avec les levres de ses plaies.
Rien n’egale ici-bas, rien n’atteint sous les cieux
Ces heros, doucement saignants et radieux,
Amour, qui n’ont que toi pour regle;
Le genie a l’?il fixe, au vaste elan vainqueur,
Lui-meme est depasse par ces essors du c?ur;
L’ange vole plus haut que l’aigle.
Dors! – O mes douloureux et sombres bien-aimes!
Dormez le chaste hymen du sepulcre! dormez!
Dormez au bruit du flot qui gronde,
Tandis que l’homme souffre, et que le vent lointain
Chasse les noirs vivants a travers le destin,
Et les marins a travers l’onde!
Ou plutot, car la mort n’est pas un lourd sommeil,
Envolez-vous tous deux dans l’abime vermeil,
Dans les profonds gouffres de joie,
Ou le juste qui meurt semble un soleil levant,
Ou la morte au front pale est comme un lys vivant,
Ou l’ange frissonnant flamboie!
Fuyez, mes doux oiseaux! evadez-vous tous deux
Loin de notre nuit froide et loin du mal hideux!
Franchissez l’ether d’un coup d’aile!
Volez loin de ce monde, apre hiver sans clarte,
Vers cette radieuse et bleue eternite,
Dont l’ame humaine est l’hirondelle!
O chers etres absents, on ne vous verra plus
Marcher au vert penchant des coteaux chevelus,
Disant tout bas de douces choses!
Dans le mois des chansons, des nids et des lilas,
Vous n’irez plus semant des sourires, helas!
Vous n’irez plus cueillant des roses!
On ne vous verra plus, dans ces sentiers joyeux,
Errer, et, comme si vous evitiez les yeux
De l’horizon vaste et superbe,
Chercher l’obscur asile et le taillis profond
Ou passent des rayons qui tremblent et qui font
Des taches de soleil sur l’herbe!
Villequier, Caudebec, et tous ces frais vallons,
Ne vous entendront plus vous ecrier: «Allons,
Le vent est bon, la Seine est belle!»
Comme ces lieux charmants vont etre pleins d’ennui!
Les hardis goelands ne diront plus: C’est lui!
Les fleurs ne diront plus: C’est elle!
Dieu, qui ferme la vie et rouvre l’ideal,
Fait flotter a jamais votre lit nuptial
Sous le grand dome aux clairs pilastres;
En vous prenant la terre, il vous prit les douleurs;
Ce pere souriant, pour les champs pleins de fleurs,
Vous donne les cieux remplis d’astres!
Allez des esprits purs accroitre la tribu.