«… Je vous ai vu enfant, monsieur, chez votre respectable mere, et nous sommes meme un peu parents, je crois. J’ai applaudi a vos premieres odes, la Vendee, Louis XVII… Des 1827, dans votre ode dite A la colonne, vous desertiez les saines doctrines, vous abjuriez la legitimite; la faction liberale battait des mains a votre apostasie. J’en gemissais… Vous etes aujourd’hui, monsieur, en demagogie pure, en plein jacobinisme. Votre discours d’anarchiste sur les affaires de Galicie est plus digne du treteau d’une Convention que de la tribune d’une chambre des pairs. Vous en etes a la carmagnole… Vous vous perdez, je vous le dis. Quelle est donc votre ambition? Depuis ces beaux jours de votre adolescence monarchique, qu’avez-vous fait? ou allez- vous?…»

(Le marquis du C. d’E… – Lettre a Victor Hugo, Paris, 1846.)

I

Marquis, je m’en souviens, vous veniez chez ma mere.

Vous me faisiez parfois reciter ma grammaire;

Vous m’apportiez toujours quelque bonbon exquis;

Et nous etions cousins quand on etait marquis.

Vous etiez vieux, j’etais enfant; contre vos jambes

Vous me preniez, et puis, entre deux dithyrambes

En l’honneur de Coblentz et des rois, vous contiez

Quelque histoire de loups, de peuples chaties,

D’ogres, de jacobins, authentique et formelle,

Que j’avalais avec vos bonbons, pele-mele,

Et que je devorais de fort bon appetit

Quand j’etais royaliste et quand j’etais petit.

J’etais un doux enfant, le grain d’honnete homme.

Quand, plein d’illusions, credule, simple, en somme,

Droit et pur, mes deux yeux sur l’ideal ouverts,

Je begayais, songeur naif, mes premiers vers,

Marquis, vous leur trouviez un arriere-gout fauve,

Les Graces vous ayant nourri dans leur alcove;

Mais vous disiez: «Pas mal! bien! c’est quelqu’un qui nait!»

Et, souvenir sacre! ma mere rayonnait.

Je me rappelle encor de quel accent ma mere

Vous disait: «Bonjour.» Aube! avril! joie ephemere!

Ou donc est ce sourire? ou donc est cette voix?

Vous fuyez donc ainsi que les feuilles des bois,

O baisers d’une mere! aujourd’hui, mon front sombre,

Le meme front, est la, pensif, avec de l’ombre,

Et les baisers de moins et les rides de plus!

Vous aviez de l’esprit, marquis. Flux et reflux,

Heur, malheur, vous avaient laisse l’ame assez nette;

Riche, pauvre, ecuyer de Marie-Antoinette,

Emigre, vous aviez, dans ce temps incertain,

Bien supporte le chaud et le froid du destin.

Vous haissiez Rousseau, mais vous aimiez Voltaire.

Pigault-Lebrun allait a votre gout austere,

Mais Diderot etait digne du pilori.

Vous detestiez, c’est vrai, madame Dubarry,

Tout en divinisant Gabrielle d’Estree.

Pas plus que Sevigne, la marquise lettree,

Ne s’etonnait de voir, douce femme revant,

Blemir au clair de lune et trembler dans le vent,

Aux arbres du chemin, parmi les feuilles jaunes,

Les paysans pendus par ce bon duc de Chaulnes,

Vous ne preniez souci des manants qu’on abat

Par la force, et du pauvre ecrase sous le bat.

Avant quatre-vingt-neuf, galant incendiaire,

Vous portiez votre epee en quart de civadiere;

La poudre blanchissait votre dos de velours;

Vous marchiez sur le peuple a pas legers – et lourds.

Quoique les vieux abus n’eussent rien qui vous blesse,

Jeune, vous aviez eu, vous, toute la noblesse,

Montmorency, Choiseul, Noaille, esprits charmants,

Avec la royaute des querelles d’amants;

Brouilles, roucoulements; Berenice avec Tite.

La Revolution vous plut toute petite;

Vous emboitiez le pas derriere Talleyrand;

Le monstre vous sembla d’abord fort transparent,

Et vous l’aviez tenu sur les fonts de bapteme.

Joyeux, vous aviez dit au nouveau-ne: Je t’aime!

Ligue ou Fronde, remede au deficit, protet,

Vous ne saviez pas trop au fond ce que c’etait;

Mais vous battiez des mains gaiment, quand Lafayette

Fit a Leviathan sa premiere layette.

Plus tard, la peur vous prit quand surgit le flambeau.

Vous vites la beaute du tigre Mirabeau.

Vous nous disiez, le soir, pres du feu qui petille,

Paris de sa poitrine arrachant la Bastille,

Le faubourg Saint-Antoine accourant en sabots,

Et ce grand peuple, ainsi qu’un spectre des tombeaux,

Sortant, tout effare, de son antique opprobre,

Et le vingt juin, le dix aout, le six octobre,

Et vous nous recitiez les quatrains que Boufflers

Melait en souriant a ces blemes eclairs.

Car vous etiez de ceux qui, d’abord, ne comprirent

Ni le flot, ni la nuit, ni la France, et qui rirent;

Qui prenaient tout cela pour des jeux innocents;

Qui, dans l’amas plaintif des siecles rugissants

Et des hommes hagards, ne voyaient qu’une meute;

Qui, legers, a la foule, a la faim, a l’emeute,

Donnaient a deviner l’enigme du salon;

Et qui, quand le ciel noir s’emplissait d’aquilon,

Quand, accroupie au seuil du mystere insondable,

La Revolution se dressait formidable,

Sceptiques, sans voir l’ongle et l’?il fauve qui luit,

Distinguant mal sa face etrange dans la nuit,

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