Examiner en moi les verites profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon;
Maintenant, o mon Dieu! que j’ai ce calme sombre
De pouvoir desormais
Voir de mes yeux la pierre ou je sais que dans l’ombre
Elle dort pour jamais;
Maintenant qu’attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forets, rochers, vallons, fleuve argente,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l’immensite;
Je viens a vous, Seigneur, pere auquel il faut croire;
Je vous porte, apaise,
Les morceaux de ce c?ur tout plein de votre gloire
Que vous avez brise;
Je viens a vous, Seigneur! confessant que vous etes
Bon, clement, indulgent et doux, o Dieu vivant!
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent;
Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament;
Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement;
Je conviens a genoux que vous seul, pere auguste,
Possedez l’infini, le reel, l’absolu;
Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste
Que mon c?ur ait saigne, puisque Dieu l’a voulu!
Je ne resiste plus a tout ce qui m’arrive
Par votre volonte.
L’ame de deuils en deuils, l’homme de rive en rive,
Roule a l’eternite.
Nous ne voyons jamais qu’un seul cote des choses;
L’autre plonge en la nuit d’un mystere effrayant.
L’homme subit le joug sans connaitre les causes.
Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant.
Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n’avez pas voulu qu’il eut la certitude
Ni la joie ici-bas!
Des qu’il possede un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donne, dans ses rapides jours,
Pour qu’il s’en puisse faire une demeure, et dire:
C’est ici ma maison, mon champ et mes amours!
Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient;
J’en conviens, j’en conviens!
Le monde est sombre, o Dieu! l’immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants;
L’homme n’est qu’un atome en cette ombre infinie,
Nuit ou montent les bons, ou tombent les mechants.
Je sais que vous avez bien autre chose a faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu’un enfant qui meurt, desespoir de sa mere,
Ne vous fait rien, a vous!
Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue;
Que l’oiseau perd sa plume et la fleur son parfum;
Que la creation est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans ecraser quelqu’un;
Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
Passent sous le ciel bleu;
Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent;
Je le sais, o mon Dieu!
Dans vos cieux, au dela de la sphere des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-etre faites-vous des choses inconnues
Ou la douleur de l’homme entre comme element.
Peut-etre est-il utile a vos desseins sans nombre
Que des etres charmants
S’en aillent, emportes par le tourbillon sombre
Des noirs evenements.
Nos destins tenebreux vont sous des lois immenses
Que rien ne deconcerte et que rien n’attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clemences
Qui derangent le monde, o Dieu, tranquille esprit!
Je vous supplie, o Dieu! de regarder mon ame,
Et de considerer
Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme,
Je viens vous adorer!
Considerez encor que j’avais, des l’aurore,
Travaille, combattu, pense, marche, lutte,
Expliquant la nature a l’homme qui l’ignore,
Eclairant toute chose avec votre clarte;
Que j’avais, affrontant la haine et la colere,
Fait ma tache ici-bas,
Que je ne pouvais pas m’attendre a ce salaire,
Que je ne pouvais pas
Prevoir que, vous aussi, sur ma tete qui ploie,
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant!
Qu’une ame ainsi frappee a se plaindre est sujette,
Que j’ai pu blasphemer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre a la mer!
Considerez qu’on doute, o mon Dieu! quand on souffre,
Que l’?il qui pleure trop finit par s’aveugler,
Qu’un etre que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre