Or, tout en traversant ces solitudes vertes,

Hermann me dit: «Je songe aux tombes entr’ouvertes.»

Et je lui dis: «Je pense aux tombeaux refermes!»

Lui regarde en avant: je regarde en arriere.

Nos chevaux galopaient a travers la clairiere;

Le vent nous apportait de lointains angelus;

Il dit: «Je songe a ceux que l’existence afflige,

A ceux qui sont, a ceux qui vivent. – Moi», lui dis-je,

«Je pense a ceux qui ne sont plus!»

Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines?

Les chenes murmuraient. Que murmuraient les chenes?

Les buissons chuchotaient comme d’anciens amis.

Hermann me dit: «Jamais les vivants ne sommeillent.

En ce moment, des yeux pleurent, d’autres yeux veillent.»

Et je lui dis: «Helas! d’autres sont endormis!»

Hermann reprit alors: «Le malheur, c’est la vie.

Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux! j’envie

Leur fosse ou l’herbe pousse, ou s’effeuillent les bois.

Car la nuit les caresse avec ses douces flammes;

Car le ciel rayonnant calme toutes les ames

Dans tous les tombeaux a la fois!»

Et je lui dis: «Tais-toi! respect au noir mystere!

Les morts gisent couches sous nos pieds dans la terre.

Les morts, ce sont les c?urs qui t’aimaient autrefois!

C’est ton ange expire! c’est ton pere et ta mere!

Ne les attristons point par l’ironie amere.

Comme a travers un reve ils entendent nos voix!»

Octobre 1853.

XIII. Veni, vidi, vixi

J’ai bien assez vecu, puisque dans mes douleurs

Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,

Puisque je ris a peine aux enfants qui m’entourent,

Puisque je ne suis plus rejoui par les fleurs;

Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fete,

J’assiste, esprit sans joie, a ce splendide amour;

Puisque je suis a l’heure ou l’homme fuit le jour,

Helas! et sent de tout la tristesse secrete;

Puisque l’espoir serein dans mon ame est vaincu;

Puisqu’en cette saison des parfums et des roses,

O ma fille! j’aspire a l’ombre ou tu reposes,

Puisque mon c?ur est mort, j’ai bien assez vecu.

Je n’ai pas refuse ma tache sur la terre.

Mon sillon? Le voila. Ma gerbe? La voici.

J’ai vecu souriant, toujours plus adouci,

Debout, mais incline du cote du mystere.

J’ai fait ce que j’ai pu; j’ai servi, j’ai veille,

Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.

Je me suis etonne d’etre un objet de haine,

Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaille.

Dans ce bagne terrestre ou ne s’ouvre aucune aile,

Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,

Morne, epuise, raille par les forcats humains,

J’ai porte mon chainon de la chaine eternelle.

Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’a demi;

Je ne me tourne plus meme quand on me nomme;

Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme

Qui se leve avant l’aube et qui n’a pas dormi.

Je ne daigne plus meme, en ma sombre paresse,

Repondre a l’envieux dont la bouche me nuit.

O Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit,

Afin que je m’en aille et que je disparaisse!

Avril 1848.

XIV .

Demain, des l’aube, a l’heure ou blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

J’irai par la foret, j’irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixes sur mes pensees,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbe, les mains croisees,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyere en fleur.

3 septembre 1847.

XV. A Villequier

Maintenant que Paris, ses paves et ses marbres,

Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux;

Maintenant que je suis sous les branches des arbres,

Et que je puis songer a la beaute des cieux;

Maintenant que du deuil qui m’a fait l’ame obscure

Je sors, pale et vainqueur,

Et que je sens la paix de la grande nature

Qui m’entre dans le c?ur;

Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,

HEmu par ce superbe et tranquille horizon,

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