J’ai fait plus: j’ai brise tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tire de l’enfer
Tous les vieux mots damnes, legions sepulcrales;
J’ai de la periphrase ecrase les spirales,
Et mele, confondu, nivele sous le ciel
L’alphabet, sombre tour qui naquit de Babel;
Et je n’ignorais pas que la main courroucee
Qui delivre le mot, delivre la pensee.
L’unite, des efforts de l’homme est l’attribut.
Tout est la meme fleche et frappe au meme but.
Donc, j’en conviens, voila, deduits en style honnete,
Plusieurs de mes forfaits, et j’apporte ma tete.
Vous devez etre vieux, par consequent, papa,
Pour la dixieme fois j’en fais
Oui, si Beauzee est dieu, c’est vrai, je suis athee.
La langue etait en ordre, auguste, epoussetee,
Fleurs-de-lis d’or, Tristan et Boileau, plafond bleu,
Les quarante fauteuils et le trone au milieu;
Je l’ai troublee, et j’ai, dans ce salon illustre,
Meme un peu casse tout; le mot propre, ce rustre,
N’etait que caporal: je l’ai fait colonel;
J’ai fait un jacobin du pronom personnel,
Du participe, esclave a la tete blanchie,
Une hyene, et du verbe une hydre d’anarchie.
Vous tenez le
J’ai dit a la narine: Eh mais! tu n’es qu’un nez!
J’ai dit au long fruit d’or: Mais tu n’es qu’une poire!
J’ai dit a Vaugelas: Tu n’es qu’une machoire!
J’ai dit aux mots: Soyez republique! soyez
La fourmiliere immense, et travaillez! Croyez,
Aimez, vivez! – J’ai mis tout en branle, et, morose,
J’ai jete le vers noble aux chiens noirs de la prose.
Et, ce que je faisais, d’autres l’ont fait aussi;
Mieux que moi. Calliope, Euterpe au ton transi,
Polymnie, ont perdu leur gravite postiche.
Nous faisons basculer la balance hemistiche.
C’est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu’on nomme prosodie et qu’on nomme etiquette,
Rompt desormais la regle et trompe le ciseau,
Et s’echappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage cesure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.
Tous les mots a present planent dans la clarte.
Les ecrivains ont mis la langue en liberte.
Et, grace a ces bandits, grace a ces terroristes,
Le vrai, chassant l’essaim des pedagogues tristes,
L’imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l’esprit des bourgeois;
La poesie au front triple, qui rit, soupire
Et chante; raille et croit; que Plaute et que Shakspeare
Semaient, l’un sur la plebe, et l’autre sur le mob;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d’Horace a travers sa demence;
Qu’enivre de l’azur la frenesie immense,
Et qui, folle sacree aux regards eclatants,
Monte a l’eternite par les degres du temps,
La muse reparait, nous reprend, nous ramene,
Se remet a pleurer sur la misere humaine,
Frappe et console, va du zenith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d’etincelles,
Et ses millions d’yeux sur ses millions d’ailes.
Le mouvement complete ainsi son action.
Grace a toi, progres saint, la Revolution
Vibre aujourd’hui dans l’air, dans la voix, dans le livre;
Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre;
Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit.
Sa langue est deliee ainsi que son esprit.
Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.
Elle ouvre maintenant deux yeux ou sont deux flammes,
L’un sur le citoyen, l’autre sur le penseur.
Elle prend par la main la Liberte, sa s?ur,
Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.
Les prejuges, formes, comme les madrepores,
Du sombre entassement des abus sous les temps,
Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,
Pleins de sa volonte, de son but, de son ame.
Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame;
Elle est l’expression, elle est le sentiment,
Lanterne dans la rue, etoile au firmament.
Elle entre aux profondeurs du langage insondable;
Elle souffle dans l’art, porte-voix formidable;
Et, c’est Dieu qui le veut, apres avoir rempli
De ses fiertes le peuple, efface le vieux pli
Des fronts, et releve la foule degradee,
Et s’etre faite droit, elle se fait idee!
Paris, janvier 1834.
VIII. Suite
Car le mot, qu’on le sache, est un etre vivant.
La main du songeur vibre et tremble en l’ecrivant;
La plume, qui d’une aile allongeait l’envergure,
Fremit sur le papier quand sort cette figure,
Le mot, le terme, type on ne sait d’ou venu,