Se souvient-on qu’il fut jadis des c?urs?
Se souvient-on qu’il fut jadis des roses?
Elle m’aimait. Je l’aimais. Nous etions
Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons.
Dieu l’avait faite ange, fee et princesse.
Comme elle etait bien plus grande que moi,
Je lui faisais des questions sans cesse
Pour le plaisir de lui dire: Pourquoi?
Et, par moments, elle evitait, craintive,
Mon ?il reveur qui la rendait pensive.
Puis j’etalais mon savoir enfantin,
Mes jeux, la balle et la toupie agile;
J’etais tout fier d’apprendre le latin;
Je lui montrais mon Phedre et mon Virgile;
Je bravais tout; rien ne me faisait mal;
Je lui disais: Mon pere est general.
Quoiqu’on soit femme, il faut parfois qu’on lise
Dans le latin, qu’on epele en revant;
Pour lui traduire un verset, a l’eglise,
Je me penchais sur son livre souvent.
Un ange ouvrait sur nous son aile blanche
Quand nous etions a vepres le dimanche.
Elle disait de moi: C’est un enfant!
Je l’appelais mademoiselle Lise;
Pour lui traduire un psaume, bien souvent,
Je me penchais sur son livre a l’eglise;
Si bien qu’un jour, vous le vites, mon Dieu!
Sa joue en fleur toucha ma levre en feu.
Jeunes amours, si vite epanouies,
Vous etes l’aube et le matin du c?ur.
Charmez l’enfant, extases inouies!
Et, quand le soir vient avec la douleur,
Charmez encor nos ames eblouies,
Jeunes amours, si vite evanouies!
Mai 1843.
XII. Vere novo
Comme le matin rit sur les roses en pleurs!
Oh! les charmants petits amoureux qu’ont les fleurs!
Ce n’est dans les jasmins, ce n’est dans les pervenches
Qu’un eblouissement de folles ailes blanches
Qui vont, viennent, s’en vont, reviennent, se fermant,
Se rouvrant, dans un vaste et doux fremissement.
O printemps! quand on songe a toutes les missives
Qui des amants reveurs vont aux belles pensives,
A ces c?urs confies au papier, a ce tas
De lettres que le feutre ecrit au taffetas,
Aux messages d’amour, d’ivresse et de delire
Qu’on recoit en avril et qu’en mai l’on dechire,
On croit voir s’envoler, au gre du vent joyeux,
Dans les pres, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,
Et roder en tous lieux, cherchant partout une ame,
Et courir a la fleur en sortant de la femme,
Les petits morceaux blancs, chasses en tourbillons,
De tous les billets doux, devenus papillons.
Mai 1831.
XIII. A propos d’Horace
Marchands de grec! marchands de latin! cuistres! dogues!
Philistins! magisters! je vous hais, pedagogues!
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hebete,
Vous niez l’ideal, la grace et la beaute!
Car vos textes, vos lois, vos regles sont fossiles!
Car, avec l’air profond, vous etes imbeciles!
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout!
Car vous etes mauvais et mechants! – Mon sang bout
Rien qu’a songer au temps ou, reveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j’etais en rhetorique!
Que d’ennuis! de fureurs! de betises! – gredins! -
Que de froids chatiments et que de chocs soudains!
«Dimanche en retenue et cinq cents vers d’Horace!»
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais: «Monsieur… – Pas de raisons!
«Vingt fois l’ode a Plancus et l’epitre aux Pisons!»
Or, j’avais justement, ce jour-la, – douce idee
Qui me faisait rever d’Armide et d’Haydee, -
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu! perdre un tel jour! le perdre tout entier!
Je devais, en parlant d’amour, extase pure!
En l’enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n’etait pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais!
Reve heureux! je voyais, dans ma colere bleue,
Tout cet Eden, conge, les lilas, la banlieue,
Et j’entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mere Saguet!
O douleur! furieux, je montais a ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glaciere en decembre;
Et, la, je m’ecriais:
– Horace! o bon garcon!
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t’allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l’oiseau se pose sur la branche,