Quand l’erreur fait un n?ud dans l’homme, il le denoue.

Il est foudre dans l’ombre et ver dans le fruit mur.

Il sort d’une trompette, il tremble sur un mur,

Et Balthazar chancelle, et Jericho s’ecoule.

Il s’incorpore au peuple, etant lui-meme foule.

Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu;

Car le mot, c’est le Verbe, et le Verbe, c’est Dieu.

Jersey, juin 1855.

IX .

Le poeme eplore se lamente; le drame

Souffre, et par vingt acteurs repand a flots son ame;

Et la foule accoudee un moment s’attendrit,

Puis reprend: «Bah! l’auteur est un homme d’esprit,

«Qui, sur de faux heros lancant de faux tonnerres,

«Rit de nous voir pleurer leurs maux imaginaires.

«Ma femme, calme-toi; seche tes yeux, ma s?ur.»

La foule a tort: l’esprit, c’est le c?ur; le penseur

Souffre de sa pensee et se brule a sa flamme.

Le poete a saigne le sang qui sort du drame;

Tous ces etres qu’il fait l’etreignent de leurs n?uds;

Il tremble en eux, il vit en eux, il meurt en eux;

Dans sa creation le poete tressaille;

Il est elle, elle est lui; quand dans l’ombre il travaille,

Il pleure, et s’arrachant les entrailles, les met

Dans son drame, et, sculpteur, seul sur son noir sommet

Petrit sa propre chair dans l’argile sacree;

Il y renait sans cesse, et ce songeur qui cree

Othello d’une larme, Alceste d’un sanglot,

Avec eux pele-mele en ses ?uvres eclot.

Dans sa genese immense et vraie, une et diverse,

Lui, le souffrant du mal eternel, il se verse,

Sans epuiser son flanc d’ou sort une clarte.

Ce qui fait qu’il est dieu, c’est plus d’humanite.

Il est genie, etant, plus que les autres, homme.

Corneille est a Rouen, mais son ame est a Rome;

Son front des vieux Catons porte le male ennui.

Comme Shakspeare est pale! avant Hamlet, c’est lui

Que le fantome attend sur l’apre plate-forme,

Pendant qu’a l’horizon surgit la lune enorme.

Du mal dont reve Argan, Poquelin est mourant;

Il rit: oui, peuple, il rale! Avec Ulysse errant,

Homere eperdu fuit dans la brume marine.

Saint Jean frissonne: au fond de sa sombre poitrine,

L’Apocalypse horrible agite son tocsin.

Eschyle! Oreste marche et rugit dans ton sein,

Et c’est, o noir poete a la levre irritee,

Sur ton crane geant qu’est cloue Promethee.

Paris, janvier 1834.

X. A Madame D. G. de G.

Jadis je vous disais: – Vivez, regnez, Madame!

Le salon vous attend! le succes vous reclame!

Le bal eblouissant palit quand vous partez!

Soyez illustre et belle! aimez! riez! chantez!

Vous avez la splendeur des astres et des roses!

Votre regard charmant, ou je lis tant de choses,

Commente vos discours legers et gracieux.

Ce que dit votre bouche etincelle en vos yeux.

Il semble, quand parfois un chagrin vous alarme,

Qu’ils versent une perle et non pas une larme.

Meme quand vous revez, vous souriez encor.

Vivez, fetee et fiere, o belle aux cheveux d’or!

Maintenant vous voila pale, grave, muette,

Morte, et transfiguree, et je vous dis: – Poete!

Viens me chercher! Archange! etre mysterieux!

Fais pour moi transparents et la terre et les cieux!

Revele-moi, d’un mot de ta bouche profonde,

La grande enigme humaine et le secret du monde!

Confirme en mon esprit Descartes ou Spinosa!

Car tu sais le vrai nom de celui qui perca,

Pour que nous puissions voir sa lumiere sans voiles,

Ces trous du noir plafond qu’on nomme les etoiles!

Car je te sens flotter sous mes rameaux penchants;

Car ta lyre invisible a de sublimes chants!

Car mon sombre ocean, ou l’esquif s’aventure,

T’epouvante et te plait; car la sainte nature,

La nature eternelle, et les champs, et les bois,

Parlent a ta grande ame avec leur grande voix!

Paris, 1840. – Jersey, 1855.

XI. Lise

J’avais douze ans; elle en avait bien seize.

Elle etait grande, et, moi, j’etais petit.

Pour lui parler le soir plus a mon aise,

Moi, j’attendais que sa mere sortit;

Puis je venais m’asseoir pres de sa chaise

Pour lui parler le soir plus a mon aise.

Que de printemps passes avec leurs fleurs!

Que de feux morts, et que de tombes closes!

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