Haillon d’or que la joie en bondissant dechire.
Le Pantheon brillait comme une vision.
La gaite d’une altiere et libre nation
Dansait sous le ciel bleu dans les places publiques;
Un rayon qui semblait venir des temps bibliques
Illuminait Paris calme et patriarcal;
Ce lion dont l’?il met en fuite le chacal,
Le peuple des faubourgs se promenait tranquille.
Le soir, je revenais; et dans toute la ville,
Les passants, eclatant en strophes, en refrains,
Ayant leurs doux instincts de liberte pour freins,
Du Louvre au Champ-de-Mars, de Chaillot a la Greve,
Fourmillaient; et, pendant que mon esprit, qui reve
Dans la sereine nuit des penseurs etoiles,
Et dresse ses rameaux a leurs lueurs meles,
S’ouvrait a tous ces cris charmants comme l’aurore,
A toute cette ivresse innocente et sonore,
Paisibles, se penchant, noirs et tout semes d’yeux,
Sous le ciel constelle, sur le peuple joyeux,
Les grands arbres pensifs des vieux Champs-Elysees,
Pleins d’astres, consentaient a s’emplir de fusees.
Et j’allais, et mon c?ur chantait; et les enfants
Embarrassaient mes pas de leurs jeux triomphants,
Ou s’epanouissaient les meres de famille;
Le frere avec la s?ur, le pere avec la fille,
Causaient; je contemplais tous ces hauts monuments
Qui semblent au songeur rayonnants ou fumants,
Et qui font de Paris la deuxieme des Romes;
J’entendais pres de moi rire les jeunes hommes
Et les graves vieillards dire: «Je me souviens.»
O patrie! o concorde entre les citoyens!
Marine-Terrace, juillet 1855.
XVII. Mugitusque Boum
Mugissement des b?ufs, au temps du doux Virgile,
Comme aujourd’hui, le soir, quand fuit la nuit agile,
Ou, le matin, quand l’aube aux champs extasies
Verse a flots la rosee et le jour, vous disiez:
«Murissez, bles mouvants! pres, emplissez-vous d’herbes!
«Que la terre, agitant son panache de gerbes,
«Chante dans l’onde d’or d’une riche moisson!
«Vis, bete; vis, caillou; vis, homme; vis, buisson;
«A l’heure ou le soleil se couche, ou l’herbe est pleine
«Des grands fantomes noirs des arbres de la plaine
«Jusqu’aux lointains coteaux rampant et grandissant,
«Quand le brun laboureur des collines descend
«Et retourne a son toit d’ou sort une fumee,
«Que la soif de revoir sa femme bien-aimee
«Et l’enfant qu’en ses bras hier il rechauffait,
«Que ce desir, croissant a chaque pas qu’il fait,
«Imite dans son c?ur l’allongement de l’ombre!
«Etres! choses! vivez! sans peur, sans deuil, sans nombre!
«Que tout s’epanouisse en sourire vermeil!
«Que l’homme ait le repos et le b?uf le sommeil!
«Vivez! croissez! semez le grain a l’aventure!
«Qu’on sent frissonner dans toute la nature,
«Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons,
«Dans l’obscur tremblement des profonds horizons,
«Un vaste emportement d’aimer, dans l’herbe verte,
«Dans l’antre, dans l’etang, dans la clairiere ouverte,
«D’aimer sans fin, d’aimer toujours, d’aimer encor,
«Sous la serenite des sombres astres d’or!
«Faites tressaillir l’air, le flot, l’aile, la bouche,
«O palpitations du grand amour farouche!
«Qu’on sente le baiser de l’etre illimite!
«Et, paix, vertu, bonheur, esperance, bonte,
«O fruits divins, tombez des branches eternelles!»
Ainsi vous parliez, voix, grandes voix solennelles;
Et Virgile ecoutait comme j’ecoute, et l’eau
Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau
Le vent, et le rocher l’ecume, et le ciel sombre
L’homme… O nature! abime! immensite de l’ombre!
Marine-Terrace, juillet 1855.
XVIII. Apparition
Je vis un ange blanc qui passait sur ma tete;
Son vol eblouissant apaisait la tempete,
Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.
– Qu’est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit?
Lui dis-je. Il repondit: – Je viens prendre ton ame.
Et j’eus peur, car je vis que c’etait une femme;
Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras:
– Que me restera-t-il? car tu t’envoleras.
Il ne repondit pas; le ciel que l’ombre assiege
S’eteignait… – Si tu prends mon ame, m’ecriai-je,
Ou l’emporteras-tu? montre-moi dans quel lieu.
Il se taisait toujours. – O passant du ciel bleu,
Es-tu la mort? lui dis-je, ou bien es-tu la vie?
Et la nuit augmentait sur mon ame ravie,
Et l’ange devint noir, et dit: – Je suis l’amour.
Mais son front sombre etait plus charmant que le jour,
Et je voyais, dans l’ombre ou brillaient ses prunelles,
Les astres a travers les plumes de ses ailes.