Jersey, septembre 1855.

XIX. Au poete qui m’envoie une plume d’aigle

Oui, c’est une heure solennelle!

Mon esprit en ce jour serein

Croit qu’un peu de gloire eternelle

Se mele au bruit contemporain,

Puisque, dans mon humble retraite,

Je ramasse, sans me courber,

Ce qu’y laisse choir le poete,

Ce que l’aigle y laisse tomber!

Puisque sur ma tete fidele

Ils ont jete, couple vainqueur,

L’un, une plume de son aile,

L’autre, une strophe de son c?ur!

Oh! soyez donc les bienvenues,

Plume! strophe! envoi glorieux!

Vous avez erre dans les nues,

Vous avez plane dans les cieux!

11 decembre.

XX. Cerigo

I

Tout homme qui vieillit est ce roc solitaire

Et triste, Cerigo, qui fut jadis Cythere,

Cythere aux nids charmants, Cythere aux myrtes verts,

La conque de Cypris sacree au sein des mers.

La vie auguste, goutte a goutte, heure par heure,

S’epand sur ce qui passe et sur ce qui demeure;

La-bas, la Grece brille agonisante, et l’?il

S’emplit en la voyant de lumiere et de deuil;

La terre luit; la nue est de l’encens qui fume;

Des vols d’oiseaux de mer se melent a l’ecume;

L’azur frissonne; l’eau palpite; et les rumeurs

Sortent des vents, des flots, des barques, des rameurs;

Au loin court quelque voile hellene ou candiote.

Cythere est la, lugubre, epuisee, idiote,

Tete de mort du reve amour, et crane nu

Du plaisir, ce chanteur masque, spectre inconnu.

C’est toi? qu’as-tu donc fait de ta blanche tunique?

Cache ta gorge impure et ta laideur cynique,

O sirene ridee et dont l’hymne s’est tu!

Ou donc etes-vous, ame? etoile, ou donc es-tu?

L’ile qu’on adorait de Lemnos a Lepante,

Ou se tordait d’amour la chimere rampante,

Ou la brise baisait les arbres fremissants,

Ou l’ombre disait: J’aime! ou l’herbe avait des sens,

Qu’en a-t-on fait? ou donc sont-ils, ou donc sont-elles,

Eux, les olympiens, elles, les immortelles?

Ou donc est Mars? ou donc Eros? ou donc Psyche?

Ou donc le doux oiseau bonheur, effarouche?

Qu’en as-tu fait, rocher, et qu’as-tu fait des roses?

Qu’as-tu fait des chansons dans les soupirs ecloses,

Des danses, des gazons, des bois melodieux,

De l’ombre que faisait le passage des dieux?

Plus d’autels; o passe! splendeurs evanouies!

Plus de vierges au seuil des antres eblouies;

Plus d’abeilles buvant la rosee et le thym.

Mais toujours le ciel bleu. C’est-a-dire, o destin!

Sur l’homme, jeune ou vieux, harmonie ou souffrance,

Toujours la meme mort et la meme esperance.

Cerigo, qu’as-tu fait de Cythere? Nuit! deuil!

L’eden s’est eclipse, laissant a nu l’ecueil.

O naufragee, helas! c’est donc la que tu tombes!

Les hiboux meme ont peur de l’ile des colombes.

Ile, o toi qu’on cherchait! o toi que nous fuyons,

O spectre des baisers, masure des rayons,

Tu t’appelles oubli! tu meurs, sombre captive!

Et, tandis qu’abritant quelque yole furtive,

Ton cap, ou rayonnaient les temples fabuleux,

Voit passer a son ombre et sur les grands flots bleus

Le pirate qui guette ou le pecheur d’eponges

Qui rode, a l’horizon Venus fuit dans les songes.

II

Venus! Que parles-tu de Venus? elle est la.

Leve les yeux. Le jour ou Dieu la devoila

Pour la premiere fois dans l’aube universelle,

Elle ne brillait pas plus qu’elle n’etincelle.

Si tu veux voir l’etoile, homme, leve les yeux.

L’ile des mers s’eteint, mais non l’ile des cieux;

Les astres sont vivants et ne sont pas des choses

Qui s’effeuillent, un soir d’ete, comme les roses.

Oui, meurs, plaisir, mais vis, amour! o vision,

Flambeau, nid de l’azur dont l’ange est l’alcyon,

Beaute de l’ame humaine et de l’ame divine,

Amour, l’adolescent dans l’ombre te devine,

O splendeur! et tu fais le vieillard lumineux.

Chacun de tes rayons tient un homme en ses n?uds.

Oh! vivez et brillez dans la brume qui tremble,

Hymens mysterieux, c?urs vieillissant ensemble,

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