Nous voulons durer, vivre, etre eternels. O cendre!
Ou donc est la fourmi qu’on appelle Alexandre?
Ou donc le ver Cesar?
En tombant sur nos fronts, la minute nous tue.
Nous passons, noir essaim, foule de deuil vetue,
Comme le bruit d’un char.
Nous montons a l’assaut du temps comme une armee.
Sur nos groupes confus que voile la fumee
Des jours evanouis,
L’enorme eternite luit, splendide et stagnante;
Le cadran, bouclier de l’heure rayonnante,
Nous terrasse eblouis!
A l’instant ou l’on dit: Vivons! tout se dechire.
Les pleurs subitement descendent sur le rire.
Tete nue! a genoux!
Tes fils sont morts, mon pere est mort, leur mere est morte.
O deuil! qui passe la? C’est un cercueil qu’on porte.
A qui le portez-vous?
Ils le portent a l’ombre, au silence, a la terre;
Ils le portent au calme obscur, a l’aube austere,
A la brume sans bords,
Au mystere qui tord ses anneaux sous des voiles,
Au serpent inconnu qui leche les etoiles
Et qui baise les morts!
Ils le portent aux vers, au neant, a Peut-Etre!
Car la plupart d’entre eux n’ont point vu le jour naitre;
Sceptiques et bornes,
La negation morne et la matiere hostile,
Flambeaux d’aveuglement, troublent l’ame inutile
De ces infortunes.
Pour eux le ciel ment, l’homme est un songe et croit vivre;
Ils ont beau feuilleter page a page le livre,
Ils ne comprennent pas;
Ils vivent en hochant la tete, et, dans le vide.
L’echeveau tenebreux que le doute devide
Se mele sous leurs pas.
Pour eux l’ame naufrage avec le corps qui sombre.
Leur reve a les yeux creux et regarde de l’ombre;
Rien est le mot du sort;
Et chacun d’eux, riant de la voute etoilee,
Porte en son c?ur, au lieu de l’esperance ailee,
Une tete de mort.
Sourds a l’hymne des bois, au sombre cri de l’orgue,
Chacun d’eux est un champ plein de cendre, une morgue
Ou pendent des lambeaux,
Un cimetiere ou l’?il des fremissants poetes
Voit planer l’ironie et toutes ses chouettes,
L’ombre et tous ses corbeaux.
Quand l’astre et le roseau leur disent: Il faut croire;
Ils disent au jonc vert, a l’astre en sa nuit noire:
Vous etes insenses!
Quand l’arbre leur murmure a l’oreille: Il existe;
Ces fous repondent: Non! et, si le chene insiste,
Ils lui disent: Assez!
Quelle nuit! le semeur nie par la semence!
L’univers n’est pour eux qu’une vaste demence,
Sans but et sans milieu;
Leur ame, en agitant l’immensite profonde,
N’y sent meme pas l’etre, et dans le grelot monde
N’entend pas sonner Dieu!
Le corbillard franchit le seuil du cimetiere.
Le gai matin, qui rit a la nature entiere,
Resplendit sur ce deuil;
Tout etre a son mystere ou l’on sent l’ame eclore,
Et l’offre a l’infini; l’astre apporte l’aurore,
Et l’homme le cercueil.
Le dedans de la fosse apparait, triste creche.
Des pierres par endroits percent la terre fraiche;
Et l’on entend le glas;
Elles semblent s’ouvrir ainsi que des paupieres,
Et le papillon blanc dit: «Qu’ont donc fait ces pierres?»
Et la fleur dit: «Helas!»
Est-ce que par hasard ces pierres sont punies,
Dieu vivant, pour subir de telles agonies?
Ah! ce que nous souffrons
N’est rien. – Plus bas que l’arbre en proie aux froides bises,
Sous cette forme horrible, est-ce que les Cambyses,
Est-ce que les Nerons,
Apres avoir tenu les peuples dans leur serre,
Et crucifie l’homme au noir gibet misere,
Mis le monde en lambeaux,
Souille l’ame, et change, sous le vent des desastres,
L’univers en charnier, et fait monter aux astres
La vapeur des tombeaux,
Apres avoir passe joyeux dans la victoire,
Dans l’orgueil, et partout imprime sur l’histoire
Leurs ongles furieux,