Revais le deuil sans fin, cette blanche colombe,
Avec cet homme allant et venant sur ta tombe,
O mort, te voila seul!
Commencement de l’apre et morne solitude!
Tu ne changeras plus de lit ni d’attitude;
L’heure aux pas solennels
Ne sonne plus pour toi; l’ombre te fait terrible;
L’immobile suaire a sur ta forme horrible
Mis ses plis eternels.
Et puis le fossoyeur s’en va boire la fosse.
Il vient de voir des dents que la terre dechausse,
Il rit, il mange, il mord;
Et prend, en murmurant des chansons hebetees,
Un verre dans ses mains a chaque instant heurtees
Aux choses de la mort.
Le soir vient; l’horizon s’emplit d’inquietude;
L’herbe tremble et bruit comme une multitude;
Le fleuve blanc reluit;
Le paysage obscur prend les veines des marbres;
Ces hydres que, le jour, on appelle des arbres,
Se tordent dans la nuit.
Le mort est seul. Il sent la nuit qui le devore.
Quand nait le doux matin, tout l’azur de l’aurore,
Tous ses rayons si beaux,
Tout l’amour des oiseaux et leurs chansons sans nombre,
Vont aux berceaux dores; et, la nuit, toute l’ombre
Aboutit aux tombeaux.
Il entend des soupirs dans les fosses voisines;
Il sent la chevelure affreuse des racines
Entrer dans son cercueil;
Il est l’etre vaincu dont s’empare la chose;
Il sent un doigt obscur, sous sa paupiere close,
Lui retirer son ?il.
Il a froid; car le soir, qui mele a son haleine
Les tenebres, l’horreur, le spectre et le phalene,
Glace ces durs grabats;
Le cadavre, lie de bandelettes blanches,
Grelotte, et dans sa biere entend les quatre planches
Qui lui parlent tout bas.
L’une dit: – Je fermais ton coffre-fort. – Et l’autre
Dit: – J’ai servi de porte au toit qui fut le notre. -
L’autre dit: – Aux beaux jours,
La table ou rit l’ivresse et que le vin encombre,
C’etait moi. – L’autre dit: – J’etais le chevet sombre
Du lit de tes amours.
Allez, vivants! riez, chantez; le jour flamboie.
Laissez derriere vous, derriere votre joie
Sans nuage et sans pli,
Derriere la fanfare et le bal qui s’elance,
Tous ces morts qu’enfouit dans la fosse silence
Le fossoyeur oubli!
Tous y viendront.
Assez! et levez-vous de table.
Chacun prend a son tour la route redoutable;
Chacun sort en tremblant;
Chantez, riez; soyez heureux, soyez celebres;
Chacun de vous sera bientot dans les tenebres
Le spectre au regard blanc.
La foule vous admire et l’azur vous eclaire;
Vous etes riche, grand, glorieux, populaire,
Puissant, fier, encense;
Vos licteurs, devant vous, graves, portent la hache;
Et vous vous en irez sans que personne sache
Ou vous avez passe.
Jeunes filles, helas! qui donc croit a l’aurore?
Votre levre palit pendant qu’on danse encore
Dans le bal enchante;
Dans les lustres blemis on voit grandir le cierge;
La mort met sur vos fronts ce grand voile de vierge
Qu’on nomme eternite.
Le conquerant, debout dans une aube enflammee,
Penche, et voit s’en aller son epee en fumee;
L’amante avec l’amant
Passe; le berceau prend une voix sepulcrale;
L’enfant rose devient larve horrible, et le rale
Sort du vagissement.
Ce qu’ils disaient hier, le savent-ils eux-memes?
Des chimeres, des v?ux, des cris, de vains problemes!
O neant inoui!
Rien ne reste; ils ont tout oublie dans la fuite
Des choses que Dieu pousse et qui courent si vite
Que l’homme est ebloui!
O promesses! espoirs! cherchez-les dans l’espace.
La bouche qui promet est un oiseau qui passe.
Fou qui s’y confierait!
Les promesses s’en vont ou va le vent des plaines,
Ou vont les flots, ou vont les obscures haleines
Du soir dans la foret!
Songe a la profondeur du neant ou nous sommes.
Quand tu seras couche sous la terre ou les hommes
S’enfoncent pas a pas,
Tes enfants, epuisant les jours que Dieu leur compte,
Seront dans la lumiere ou seront dans la honte;