Tu ne le sauras pas!
Ce que vous revez tombe avec ce que vous faites.
Voyez ces grands palais; voyez ces chars de fetes
Aux tournoyants essieux;
Voyez ces longs fusils qui suivent le rivage;
Voyez ces chevaux, noirs comme un heron sauvage
Qui vole sous les cieux,
Tout cela passera comme une voix chantante.
Pyramide, a tes pieds tu regardes la tente,
Sous l’eclatant zenith;
Tu l’entends frissonner au vent comme une voile,
Cheops, et tu te sens, en la voyant de toile,
Fiere d’etre en granit;
Et toi, tente, tu dis: Gloire a la pyramide!
Mais, un jour, hennissant comme un cheval numide,
L’ouragan libyen
Soufflera sur ce sable ou sont les tentes freles,
Et Cheops roulera pele-mele avec elles
En s’ecriant: Eh bien!
Tu periras, malgre ton enceinte muree,
Et tu ne seras plus, ville, o ville sacree,
Qu’un triste amas fumant,
Et ceux qui t’ont servie et ceux qui t’ont aimee
Frapperont leur poitrine en voyant la fumee
De ton embrasement.
Ils diront: – O douleur! o deuil! guerre civile!
Quelle ville a jamais egale cette ville?
Ses tours montaient dans l’air;
Elle riait aux chants de ses prostituees;
Elle faisait courir ainsi que des nuees
Ses vaisseaux sur la mer.
Ville! ou sont tes docteurs qui t’enseignaient a lire?
Tes dompteurs de lions qui jouaient de la lyre,
Tes lutteurs jamais las?
Ville! est-ce qu’un voleur, la nuit, t’a derobee?
Ou donc est Babylone? Helas! elle est tombee!
Elle est tombee, helas!
On n’entend plus chez toi le bruit que fait la meule.
Pas un marteau n’y frappe un clou. Te voila seule.
Ville, ou sont tes bouffons?
Nul passant desormais ne montera tes rampes;
Et l’on ne verra plus la lumiere des lampes
Luire sous tes plafonds.
Brillez pour disparaitre et montez pour descendre.
Le grain de sable dit dans l’ombre au grain de cendre:
Il faut tout engloutir.
Ou donc est Thebes? dit Babylone pensive.
Thebes demande: Ou donc est Ninive? et Ninive
S’ecrie: Ou donc est Tyr?
En laissant fuir les mots de sa langue prolixe,
L’homme s’agite et va, suivi par un ?il fixe;
Dieu n’ignore aucun toit;
Tous les jours d’ici-bas ont des aubes funebres;
Malheur a ceux qui font le mal dans les tenebres
En disant: Qui nous voit?
Tous tombent; l’un au bout d’une course insensee,
L’autre a son premier pas; l’homme sur sa pensee,
La mere sur son nid;
Et le porteur de sceptre et le joueur de flute
S’en vont; et rien ne dure; et le pere qui lutte
Suit l’aieul qui benit.
Les races vont au but qu’ici-bas tout revele.
Quand l’ancienne commence a palir, la nouvelle
A deja le meme air;
Dans l’eternite, gouffre ou se vide la tombe,
L’homme coule sans fin, sombre fleuve qui tombe
Dans une sombre mer.
Tout escalier, que l’ombre ou la splendeur le couvre,
Descend au tombeau calme, et toute porte s’ouvre
Sur le dernier moment;
Votre sepulcre emplit la maison ou vous etes;
Et tout plafond, croisant ses poutres sur nos tetes,
Est fait d’ecroulement.
Veillez, veillez! Songez a ceux que vous perdites;
Parlez moins haut, prenez garde a ce que vous dites,
Contemplez a genoux;
L’aigle trepas du bout de l’aile nous effleure;
Et toute notre vie, en fuite heure par heure,
S’en va derriere nous.
O coups soudains! departs vertigineux! mystere!
Combien qui ne croyaient parler que pour la terre,
Front haut, c?ur fier, bras fort,
Tout a coup, comme un mur subitement s’ecroule,
Au milieu d’une phrase adressee a la foule,
Sont entres dans la mort,
Et, sous l’immensite qui n’est qu’un ?il sublime,
Ont pali, stupefaits de voir, dans cet abime
D’astres et de ciel bleu,
Ou le masque se montre, ou l’inconnu se nomme,
Que le mot qu’ils avaient commence devant l’homme
S’achevait devant Dieu!
Un spectre au seuil de tout tient le doigt sur sa bouche.
Les morts partent. La nuit de sa verge les touche.
Ils vont, l’antre est profond,
Nus, et se dissipant, et l’on ne voit rien luire.
Ou donc sont-ils alles? On n’a rien a vous dire.
Ceux qui s’en vont, s’en vont.
Sur quoi donc marchent-ils? sur l’enigme, sur l’ombre,
Sur l’etre. Ils font un pas: comme la nef qui sombre,