Sur ces rameaux noueux?

Cachaient-ils des essaims d’ailes sombres ou blanches?

Dites, avez-vous fait envoler de ces branches

Quelque aigle monstrueux?

De quelqu’un qui se tait nous sommes les ministres;

Le noir reseau du sort trouble nos yeux sinistres;

Le vent nous courbe tous;

L’ombre des memes nuits mele toutes les tetes.

Qui donc sait le secret? le savez-vous, tempetes?

Gouffres, en parlez-vous?

Le probleme muet gonfle la mer sonore,

Et, sans cesse oscillant, va du soir a l’aurore

Et de la taupe au lynx;

L’enigme aux yeux profonds nous regarde obstinee;

Dans l’ombre nous voyons sur notre destinee

Les deux griffes du sphinx.

Le mot, c’est Dieu. Ce mot luit dans les ames veuves;

Il tremble dans la flamme; onde, il coule en tes fleuves,

Homme, il coule en ton sang;

Les constellations le disent au silence;

Et le volcan, mortier de l’infini, le lance

Aux astres en passant.

Ne doutons pas. Croyons. Emplissons l’etendue

De notre confiance, humble, ailee, eperdue.

Soyons l’immense Oui.

Que notre cecite ne soit pas un obstacle;

A la creation donnons ce grand spectacle

D’un aveugle ebloui.

Car, je vous le redis, votre oreille etant dure,

Non est un precipice. O vivants! rien ne dure;

La chair est aux corbeaux;

La vie autour de vous croule comme un vieux cloitre;

Et l’herbe est formidable, et l’on y voit moins croitre

De fleurs que de tombeaux.

Tout, des que nous doutons, devient triste et farouche.

Quand il veut, spectre gai, le sarcasme a la bouche

Et l’ombre dans les yeux,

Rire avec l’infini, pauvre ame aventuriere,

L’homme frissonnant voit les arbres en priere

Et les monts serieux;

Le chene emu fait signe au cedre qui contemple;

Le rocher reveur semble un pretre dans le temple

Pleurant un deshonneur;

L’araignee, immobile au centre de ses toiles,

Medite; et le lion, songeant sous les etoiles,

Rugit: Pardon, Seigneur!

Jersey, cimetiere de Saint-Jean, avril 1854.

VII .

Un jour, le morne esprit, le prophete sublime

Qui revait a Patmos,

Et lisait, fremissant, sur le mur de l’abime

De si lugubres mots,

Dit a son aigle: «O monstre! il faut que tu m’emportes.

Je veux voir Jehovah.»

L’aigle obeit. Des cieux ils franchirent les portes;

Enfin, Jean arriva;

Il vit l’endroit sans nom dont nul archange n’ose

Traverser le milieu,

Et ce lieu redoutable etait plein d’ombre, a cause

De la grandeur de Dieu.

Jersey, septembre 1855.

VIII. Claire

Quoi donc! la votre aussi! la votre suit la mienne!

O mere au c?ur profond, mere, vous avez beau

Laisser la porte ouverte afin qu’elle revienne,

Cette pierre la-bas dans l’herbe est un tombeau!

La mienne disparut dans les flots qui se melent;

Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t’envolas.

Est-ce donc que la-haut dans l’ombre elles s’appellent,

Qu’elles s’en vont ainsi l’une apres l’autre, helas?

Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,

Que ta mere jadis bercait de sa chanson,

Qui d’abord la charmas avec ta petitesse

Et plus tard lui remplis de clarte l’horizon,

Voila donc que tu dors sous cette pierre grise!

Voila que tu n’es plus, ayant a peine ete!

L’astre attire le lys, et te voila reprise,

O vierge, par l’azur, cette virginite!

Te voila remontee au firmament sublime,

Echappee aux grands cieux comme la grive aux bois,

Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongee a l’abime

Des rayons, des amours, des parfums et des voix!

Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuit noire.

Nous voyons seulement, comme pour nous benir,

Errer dans notre ciel et dans notre memoire

Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir!

Pressentais-tu deja ton sombre epithalame?

Marchant sur notre monde a pas silencieux,

De tous les ideals tu composais ton ame,

Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux!

En te voyant si calme et toute lumineuse,

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