Leur blancheur disparait;

Et l’on n’entend plus rien dans l’ombre inaccessible,

Que le bruit sourd que fait dans le gouffre invisible

L’invisible foret.

L’infini, route noire et de brume remplie,

Et qui joint l’ame a Dieu, monte, fuit, multiplie

Ses cintres tortueux,

Et s’efface… – et l’horreur effare nos pupilles

Quand nous entrevoyons les arches et les piles

De ce pont monstrueux.

O sort! obscurite! nuee! on reve, on souffre.

Les etres, disperses a tous les vents du gouffre,

Ne savent ce qu’ils font.

Les vivants sont hagards. Les morts sont dans leurs couches.

Pendant que nous songeons, des pleurs, gouttes farouches,

Tombent du noir plafond.

XIV

On brave l’immuable; et l’un se refugie

Dans l’assoupissement, et l’autre dans l’orgie.

Cet autre va criant:

– A bas vertu, devoir et foi! l’homme est un ventre! -

Dans ce lugubre esprit, comme un tigre en son antre,

Habite le neant.

Ecoutez: – Jouir est tout. L’heure est rapide.

Le sacrifice est fou, le martyre est stupide;

Vivre est l’essentiel.

L’immensite ricane et la tombe grimace.

La vie est un caillou que le sage ramasse

Pour lapider le ciel. -

Il souffle, forcat noir, sa vermine sur l’ange.

Il est content, il est hideux; il boit, il mange;

Il rit, la levre en feu,

Tous les rires que peut inventer la demence;

Il dit tout ce que peut dire en sa haine immense

Le ver de terre a Dieu.

Il dit: Non! a celui sous qui tremble le pole.

Soudain l’ange muet met la main sur l’epaule

Du railleur effronte;

La mort derriere lui surgit pendant qu’il chante;

Dieu remplit tout a coup cette bouche crachante

Avec l’eternite.

XV

Qu’est-ce que tu feras de tant d’herbes fauchees,

O vent? que feras-tu des pailles dessechees

Et de l’arbre abattu?

Que feras-tu de ceux qui s’en vont avant l’heure,

Et de celui qui rit et de celui qui pleure,

O vent, qu’en feras-tu?

Que feras-tu des c?urs! que feras-tu des ames?

Nous aimames, helas! nous crumes, nous pensames:

Un moment nous brillons;

Puis, sur les pantheons ou sur les ossuaires,

Nous frissonnons, ceux-ci drapeaux, ceux-la suaires,

Tous, lambeaux et haillons!

Et ton souffle nous tient, nous arrache et nous ronge!

Et nous etions la vie, et nous sommes le songe!

Et voila que tout fuit!

Et nous ne savons plus qui nous pousse et nous mene,

Et nous questionnons en vain notre ame pleine

De tonnerre et de nuit!

O vent, que feras-tu de ces tourbillons d’etres,

Hommes, femmes, vieillards, enfants, esclaves, maitres,

Souffrant, priant, aimant,

Doutant, peut-etre cendre et peut-etre semence,

Qui roulent, fremissants et pales, vers l’immense

Evanouissement!

XVI

L’arbre Eternite vit sans faite et sans racines.

Ses branches sont partout, proches du ver, voisines

Du grand astre dore;

L’espace voit sans fin croitre la branche Nombre,

Et la branche Destin, vegetation sombre,

Emplit l’homme effare.

Nous la sentons ramper et grandir sous nos cranes,

Lier Deutz a Judas, Nemrod a Schinderhannes,

Tordre ses mille n?uds,

Et, passants penetres de fibres eternelles,

Tremblants, nous la voyons croiser dans nos prunelles

Ses fils vertigineux.

Et nous apercevons, dans le plus noir de l’arbre,

Les Hobbes contemplant avec des yeux de marbre,

Les Kant aux larges fronts;

Leur cognee a la main, le pied sur les problemes,

Immobiles; la mort a fait des spectres blemes

De tous ces bucherons.

Ils sont la, stupefaits et chacun sur sa branche.

L’un se redresse, et l’autre, epouvante, se penche.

L’un voulut, l’autre osa,

Tous se sont arretes en voyant le mystere.

Zenon reve tourne vers Pyrrhon, et Voltaire

Regarde Spinosa.

Qu’avez-vous donc trouve, dites, chercheurs sublimes?

Quels nids avez-vous vus, noirs comme des abimes,

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