Les c?urs les plus saignants ne haissaient plus rien.

Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse,

Et, comme Ruth l’epi, tu ramassais le bien.

La nature, o front pur, versait sur toi sa grace,

L’aurore sa candeur, et les champs leur bonte;

Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,

Toute cette douceur dans toute ta beaute!

Chaste, elle paraissait ne pas etre autre chose

Que la forme qui sort des cieux eblouissants;

Et de tous les rosiers elle semblait la rose,

Et de tous les amours elle semblait l’encens.

Ceux qui n’ont pas connu cette charmante fille

Ne peuvent pas savoir ce qu’etait ce regard

Transparent comme l’eau qui s’egaye et qui brille

Quand l’etoile surgit sur l’ocean hagard.

Elle etait simple, franche, humble, naive et bonne;

Chantant a demi-voix son chant d’illusion,

Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne

De vague et de lointain comme la vision.

On sentait qu’elle avait peu de temps sur la terre,

Qu’elle n’apparaissait que pour s’evanouir,

Et qu’elle acceptait peu sa vie involontaire;

Et la tombe semblait par moments l’eblouir.

Elle a passe dans l’ombre ou l’homme se resigne;

Le vent sombre soufflait; elle a passe sans bruit,

Belle, candide, ainsi qu’une plume de cygne

Qui reste blanche, meme en traversant la nuit!

Elle s’en est allee a l’aube qui se leve,

Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,

Bouche qui n’a connu que le baiser du reve,

Ame qui n’a dormi que dans le lit de Dieu!

Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,

Mere, a genoux tous deux sur des cercueils sacres,

Regardant a jamais dans les tenebres mornes

La disparition des etres adores!

Croire qu’ils resteraient! quel songe! Dieu les presse.

Meme quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,

Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse

Ces fantomes charmants que nous croyons a nous.

Ils sont la, pres de nous, jouant sur notre route;

Ils ne dedaignent pas notre soleil obscur,

Et derriere eux, et sans que leur candeur s’en doute,

Leurs ailes font parfois de l’ombre sur le mur.

Ils viennent sous nos toits; avec nous ils demeurent;

Nous leur disons: Ma fille! ou: Mon fils! ils sont doux,

Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. -

O mere, ce sont la les anges, voyez-vous!

C’est une volonte du sort, pour nous severe,

Qu’ils rentrent vite au ciel reste pour eux ouvert;

Et qu’avant d’avoir mis leur levre a notre verre,

Avant d’avoir rien fait et d’avoir rien souffert,

Ils partent radieux; et qu’ignorant l’envie,

L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, la douleur,

Tous ces etres benis s’envolent de la vie

A l’age ou la prunelle innocente est en fleur!

Nous qui sommes demons ou qui sommes apotres,

Nous devons travailler, attendre, preparer;

Pensifs, nous expions pour nous-meme ou pour d’autres;

Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.

Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui ne se pose

Qu’un instant, le soupir qui vole, avril vermeil

Qui brille et passe; ils sont le parfum de la rose

Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil!

Ils ont ce grand degout mysterieux de l’ame

Pour notre chair coupable et pour notre destin;

Ils ont, etres reveurs qu’un autre azur reclame,

Je ne sais quelle soif de mourir le matin!

Ils sont l’etoile d’or se couchant dans l’aurore,

Mourant pour nous, naissant pour l’autre firmament;

Car la mort, quand un astre en son sein vient eclore,

Continue, au dela, l’epanouissement!

Oui, mere, ce sont la les elus du mystere,

Les envoyes divins, les ailes, les vainqueurs,

A qui Dieu n’a permis que d’effleurer la terre

Pour faire un peu de joie a quelques pauvres c?urs.

Comme l’ange a Jacob, comme Jesus a Pierre,

Ils viennent jusqu’a nous qui loin d’eux etouffons,

Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sa paupiere

La sereine clarte des paradis profonds.

Puis, quand ils ont, pieux, baise toutes les plaies,

Panse notre douleur, azure nos raisons,

Et fait luire un moment l’aube a travers nos claies,

Et chante la chanson du ciel dans nos maisons,

Ils retournent la-haut parler a Dieu des hommes,

Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,

Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,

S’en vont avec un peu de terre dans la main.

Ils s’en vont; c’est tantot l’eclair qui les emporte,

Tantot un mal plus fort que nos soins superflus.

Alors, nous, pales, froids, l’?il fixe sur la porte,

Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sont plus.

Nous disons: – A quoi bon l’atre sans etincelles?

A quoi bon la maison ou ne sont plus leurs pas?

A quoi bon la ramee ou ne sont plus les ailes?

Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendront pas? -

Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.

Et nous restons la, seuls, pres du gouffre ou tout fuit,

Tristes; et la lueur de leurs charmants sourires

Parfois nous apparait vaguement dans la nuit.

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