N’emplit-il plus de lui sa creation sainte?
Et ne souffle-t-il plus que d’une bouche eteinte
Sur l’etre refroidi?
Quand les cometes vont et viennent, formidables,
Apportant la lueur des gouffres insondables
A nos fronts soucieux,
Brulant, volant, peut-etre ames, peut-etre mondes,
Savons-nous ce que font toutes ces vagabondes
Qui courent dans nos cieux?
Qui donc a vu la source et connait l’origine?
Qui donc, ayant sonde l’abime, s’imagine
En etre mage et roi?
Ah! fantomes humains, courbes sous les desastres!
Qui donc a dit: – C’est bien, Eternel. Assez d’astres.
N’en fais plus. Calme-toi! -
L’effet seditieux limiterait la cause?
Quelle bouche ici-bas peut dire a quelque chose:
Tu n’iras pas plus loin?
Sous l’elargissement sans fin, la borne plie;
La creation vit, croit et se multiplie;
L’homme n’est qu’un temoin.
L’homme n’est qu’un temoin fremissant d’epouvante.
Les firmaments sont pleins de la seve vivante
Comme les animaux.
L’arbre prodigieux croise, agrandit, transforme,
Et mele aux cieux profonds, comme une gerbe enorme,
Ses tenebreux rameaux.
Car la creation est devant, Dieu derriere.
L’homme, du cote noir de l’obscure barriere,
Vit, rodeur curieux;
Il suffit que son front se leve pour qu’il voie
A travers la sinistre et morne claire-voie
Cet ?il mysterieux.
Donc ne nous disons pas: – Nous avons nos etoiles -
Des flottes de soleils peut-etre a pleines voiles
Viennent en ce moment;
Peut-etre que demain le Createur terrible,
Refaisant notre nuit, va contre un autre crible
Changer le firmament.
Qui sait? que savons-nous? sur notre horizon sombre,
Que la creation impenetrable encombre
Des ses taillis sacres,
Muraille obscure ou vient battre le flot de l’etre,
Peut-etre allons-nous voir brusquement apparaitre
Des astres effares;
Des astres eperdus arrivant des abimes,
Venant des profondeurs ou descendant des cimes,
Et, sous nos noirs arceaux,
Entrant en foule, epars, ardents, pareils au reve,
Comme dans un grand vent s’abat sur une greve
Une troupe d’oiseaux;
Surgissant, clairs flambeaux, feux purs, rouges fournaises,
Aigrettes de rubis ou tourbillons de braises,
Sur nos bords, sur nos monts,
Et nous petrifiant de leurs aspects etranges;
Car dans le gouffre enorme il est des mondes anges
Et des soleils demons!
Peut-etre en ce moment, du fond des nuits funebres,
Montant vers nous, gonflant ses vagues de tenebres
Et ses flots de rayons,
Le muet Infini, sombre mer ignoree,
Roule vers notre ciel une grande maree
De constellations!
Marine-Terrace, avril 1854.
X. Eclaircie
L’Ocean resplendit sous sa vaste nuee.
L’onde, de son combat sans fin extenuee,
S’assoupit, et, laissant l’ecueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu’en tous lieux, en meme temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l’hiver, la nuit, l’envie,
Et que le mort couche dit au vivant debout:
Aime! et qu’une ame obscure, epanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos levres.
L’etre, eteignant dans l’ombre et l’extase ses fievres,
Ouvrant ses flancs, ses seins, ses yeux, ses c?urs epars,
Dans ses pores profonds recoit de toutes parts
La penetration de la seve sacree.
La grande paix d’en haut vient comme une maree.
Le brin d’herbe palpite aux fentes du pave;
Et l’ame a chaud. On sent que le nid est couve.
L’infini semble plein d’un frisson de feuillee.
On croit etre a cette heure ou la terre eveillee
Entend le bruit que fait l’ouverture du jour,
Le premier pas du vent, du travail, de l’amour,
De l’homme, et le verrou de la porte sonore,
Et le hennissement du blanc cheval aurore.
Le moineau d’un coup d’aile, ainsi qu’un fol esprit,
Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit;
L’air joue avec la mouche et l’ecume avec l’aigle;
Le grave laboureur fait ses sillons et regle
La page ou s’ecrira le poeme des bles;