– Je le sais parce que j’y suis alle.

– Quand cela? Depuis…

– Non, avant.

– Vous allez etre reconnu.

– Sans aucun doute. Allons, pas d’observations, mon bon ami, et ecoutez-moi. Nous sommes deux gentilshommes de la maison du roi: l’un de nous est tres souffrant d’une horrible rage de dents; l’autre demandera une chambre, un diner particulier et, qui plus est, une bonne bouteille de vin: le pauvre malade a besoin de se remonter le moral, et, si son camarade est adroit, comme je le crois, il s’arrangera pour que ce soit la petite blonde qui nous serve.

– Et si elle ne veut pas? objecta Fritz.

– Mon cher, repris-je, si elle ne le fait pas pour vous, elle le fera certainement pour moi.»

Nous arrivions a l’auberge. J’etais si bien emmitoufle qu’on ne me voyait que les yeux. L’hotesse nous recut; deux minutes plus tard la petite servante fit son apparition. On commanda le diner, le vin; je m’etais installe dans le salon particulier. Bientot Fritz entra.

«Elle vient, dit-il.

– Si elle n’etait pas venue, mon cher, j’aurais concu de grands doutes sur la penetration et le gout de la comtesse Helga.»

La jeune fille entra. Je lui laissai le temps de poser le vin sur la table: dans son etonnement, elle eut pu le laisser echapper. Fritz emplit un verre qu’il me tendit.

«Ce monsieur souffre beaucoup? demanda la jeune fille, d’un ton de vive sympathie.

– Il n’est pas plus malade que lorsqu’il est venu ici pour la premiere fois, mon enfant», fis-je, en rejetant mon manteau en arriere.

Elle tressaillit et poussa un petit cri, en disant: «Le roi! Je l’avais bien dit a mere, je n’ai eu qu’a regarder son portrait. Oh! Sire, pardonnez-moi.

– Il ne me semble pas que j’aie grand-chose a vous pardonner.

– Mon bavardage…

– Je vous pardonne ce que vous avez dit.

– Je vais vite aller prevenir ma mere.

– Non, fis-je, en prenant un air severe. Nous ne sommes pas ici, ce soir, pour nous amuser. Occupez-vous de nous monter a diner, et ne dites a personne que le roi est ici.»

Elle revint au bout de quelques minutes, l’air grave; on voyait cependant que sa curiosite etait vivement excitee.

«Et comment va Jean? demandai-je en me mettant a table.

– Quoi, ce garcon, monsieur?… Je veux dire Votre Majeste.

– Inutile. Oui, comment va Jean?

– Nous le voyons a peine maintenant.

– Et pourquoi cela?

– Je lui ai fait comprendre que je trouvais qu’il venait trop souvent, reprit-elle en secouant sa jolie tete.

– Alors, il boude et ne vient plus du tout?

– Precisement.

– Mais vous pourriez aisement le ramener si vous vouliez, dis-je avec un sourire.

– Peut-etre.

«Ce n’est pas seulement ce que je lui ai dit qui le tient eloigne, Sire. Il est tres occupe au chateau.

– Les chasses sont terminees, pourtant?

– Oui, Sire, mais il est occupe a la maison.

– Comment, Jean fait office de fille de chambre?» La petite avait une envie folle de bavarder.

«Que voulez-vous? Il n’y a pas une femme dans la maison, du moins parmi les serviteurs. On dit, mais ce n’est peut-etre pas vrai, Sire…

– Nous prendrons le commerage pour ce qu’il vaut: on dit?…

– En verite, Sire, j’ai honte de vous repeter ce que l’on dit.

– Prenez courage, voyez, nous n’avons pas l’air bien terribles.

– On dit qu’il y a une grande dame au palais, mais qu’il n’y a pas d’autre femme. C’est Jean qui fait le service de ces messieurs.

– Pauvre Jean! Il doit etre surmene. Il me semble pourtant que, s’il le voulait bien, il pourrait trouver une demi-heure pour venir vous voir.

– Cela dependrait de l’heure, Sire.

– L’aimez-vous? demandai-je.

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