– Comme vous voudrez. Ce que j’en disais, c’etait dans votre propre interet, car vous etes un homme comme je les aime; vous me plaisez, mordieu!
– Ma foi, cher monsieur, si vous aimez les hommes qui n’ont jamais manque a leur parole d’honneur, je suis votre homme.»
Il me jeta un mauvais regard.
«Avez-vous encore votre mere? demandai-je.
– Non, repondit-il; elle est morte.
– C’est une grace du Ciel», murmurai-je. Je l’entendis qui jurait entre ses dents.
«Quel est donc ce message dont vous etes porteur?» En lui parlant de sa mere, je l’avais blesse au vif: tout le monde savait que la pauvre femme etait morte de chagrin, le miserable l’ayant poussee au plus extreme desespoir par sa perpetuelle vie de desordres. Un instant, il fut desarconne et perdit son assurance.
«Le duc est plus genereux que je ne le serais moi-meme, reprit-il, d’un ton bourru. Une bonne corde au cou, voila, pour ma part, ce que j’avais propose de reserver a Votre Majeste. Le duc vous offre un sauf-conduit jusqu’a la frontiere et un million de couronnes.
– Si j’etais oblige de choisir entre les deux, je prefererais encore la corde.
– Vous refusez?
– Bien entendu.
– J’avais bien dit a Michel que vous refuseriez.»
Et le coquin, radieux, me gratifia du plus aimable de ses sourires.
«Le fait est, ceci entre nous, reprit-il, que Michel ne se doute pas de ce que c’est qu’un gentilhomme.»
Je me mis a rire.
«Et vous? fis-je.
– Moi, je le sais. Eh bien! alors, va pour la corde!
– Je suis seulement desole de penser que vous ne vivrez pas assez pour me voir pendre.
– Votre Majeste me ferait-elle l’honneur de me provoquer?
– Pas pour l’instant… Je regrette que vous n’ayez pas quelques annees de plus.
– Bah! Dieu donne des annees; mais c’est le diable qui donne la force, dit-il en riant.
– Comment est votre prisonnier? demandai-je.
– Le r…?
– Votre prisonnier?
– Ah! oui, j’oubliais vos ordres, Sire. Eh bien! il est encore de ce monde.»
Hentzau se leva, je l’imitai; puis, avec un sourire, il ajouta:
«Et la jolie princesse? Sur ma foi, je gage que…»
Je ne laissai pas achever, je m’elancai sur lui la main levee. Il ne broncha pas; un sourire insolent retroussa le coin de sa levre.
«Va-t’en, criai-je, va-t’en, si tu tiens a ta peau!»
Alors se passa la plus audacieuse chose que j’aie vue de ma vie.
Mes amis n’etaient pas a plus de vingt-cinq ou trente metres. Rupert fit signe au groom de lui amener son cheval; puis il le congedia, en lui mettant une demi-couronne dans la main. Le cheval etait tout pres; j’etais debout a cote, ne soupconnant rien. Rupert fit mine d’enfourcher sa monture; puis, tout a coup, se tournant vers moi, la main gauche passee dans sa ceinture, il me tendit la droite.
«Une poignee de main?» fit-il.
Je m’inclinai, faisant ce qu’il avait bien prevu que je ferais, c’est-a-dire mettant mes deux mains derriere mon dos.
Alors avec la rapidite de l’eclair, de la main gauche, il tira un court poignard et m’en frappa. Je sentis la pointe de la lame au defaut de l’epaule gauche; sans un mouvement instinctif que je fis, et qui me sauva, je recevais le coup en plein c?ur. Je chancelais en poussant un cri; lui, sans toucher l’etrier, s’elanca sur son cheval et partit comme une fleche, poursuivi par des cris, des coups de feu, les uns aussi inutiles que les autres.
Le sang coulait abondamment de ma blessure: je m’affaissai sur mon fauteuil; de la, je vis ce fils du diable disparaitre au tournant de la longue avenue. Mes amis se pressaient autour de moi; je les voyais confusement comme dans un nuage; enfin je m’evanouis.
L’on m’emporta alors sur mon lit, ou je fus de longues heures dans un etat de demi-conscience. La nuit etait tout a fait venue quand je repris connaissance.
Fritz veillait a mon chevet. J’etais tres las, tres faible et assez decourage.
Le lendemain, Jean, le garde du duc, tomba dans le piege si habilement tendu par moi, et, a l’heure venue, il etait au chateau.
«Le plus drole, continua Fritz, c’est qu’il ne parait pas fache d’etre ici; il semble penser que, lorsque le duc Noir aura fait son coup, il ne fera pas bon d’etre mele a toute cette cuisine.»
Cette observation, qui denotait de la finesse et de l’esprit chez notre homme, me porta a fonder les plus grandes esperances sur son concours. Je donnai l’ordre qu’on me l’amenat.