que tu as un vol-au-vent a la place du cervelet, je te rappelle qu'une ligne de tram longe le
Un hurlement terrible me fait sursauter. C'est la gonzesse du Balafre qui le pousse.
— Diego !
En un milliardieme de seconde j'avise la situasse. Le gamin a echappe a la vigilance de ses parents et se balade au milieu de la voie en faisant « tchouc-tchouc-tchouc » tandis que l'un des derniers trams de la soiree rapplique a grande vitesse dans son dos. Un auteur plus talentueux que moi n'hesiterait pas a ecrire : « mon sang se glace et n'ecoutant que mon courage je prends mes jambes a mon cou. » Seulement chaque fois que j'ai pris mes jambes a mon cou je me suis casse la gueule, ca ne t'etonnera pas, quand j'ai voulu ecouter mon courage je n'ai entendu que les battements de mon c?ur et la seule fois ou mon sang s'est glace, je suis mort.
Comme c'est moi le plus pres de l'enfant, je fonce sans me poser de questions. L'etat des lieux n'est pas brillant. Le tramway (que je ne nommerai pas Desir) est deja sur nous, pret a nous happer. Le conducteur vient d'actionner le frein. Mais ce genre de vieilles locos lancees a bloc demandent plus de cent metres pour s'arreter.
Ma premiere idee etait d'attraper le marmot et de sauter la haie avec lui. Trop tard ! Je ne perds pas de temps a suer, a puter ni a supputer : je plaque le mome au sol, bien au centre de la voie et m'allonge sur lui, l'aplatissant de tout mon poids.
Le mastodonte nous passe dessus dans un crissement d'enfer. Ses roues bloquees lancent des etincelles et des flammeches. Le bas de caisse du tram me frictionne les endosses, engendrant une vive brulure. J'ai bien fait de ne pas toucher a mon plateau repas dans l'avion, un gramme de plus et je finissais tartare sur le pave de la Bella Roma.
Lorsque l'engin finit par s'arreter a quelque distance devant nous, je mets un certain temps a redresser la tete. Notre survie tient du miracle. Ma premiere pensee est pour l'enfant. Mes quatre-vingts kilos de muscle ne l'ont-ils pas moleste ? Je me laisse rouler sur le cote pour lui permettre de se degager. Il se redresse d'un bond, hilare, trouvant le jeu des plus rigolos. Je me mets a genoux et le serre contre mon c?ur.
— On s'en est sortis, bonhomme !
—
La jolie fille se precipite, le visage defait. Elle s'empare du gamin et l'entraine en le couvrant de baisers. Une main se tend pour m'aider a me relever. Tu as devine ? Celle du Balafre. C'est pas de jeu, tu connais les plus emouvantes sequences de Sergio Leone !
— Vous avez sauve mon fils, fait sobrement Paco, en italien. Je vous en serai toujours redevable.
— Vous auriez fait pareil avec ma petite fille, m'entends-je-t-il repliquer, humide comme une serpilliere d'hospice de vieux. Elle a presque le meme age que votre Diego.
— Vous etes francais ? demande-t-il en me petrissant la main de reconnaissance.
L'emotion ne doit pas empecher un individu de ma trempe de garder la tete froide.
— Belge ! rectifie-je. Je travaille pour une grande marque de biere.
Toute la troupe m'entoure, me palpe, me felicite, me gratule. Sauf deux jeunots qui traitent le conducteur du tram d'encule, en
On se retrouve bientot sous la tonnelle devant un amas de boissons et de victuailles. Les instruments reprennent du service et les chants en mon honneur se succedent.
Paco se retire le premier. Il doit aller coucher Diego et retrouver sa femme qui attend un bebe pour dans quinze jours. Il me reitere sa gratitude. Je vois malgre tout briller dans son ?il une flamme cruelle qui me fait froid aux miches.
Apres son depart, je me consacre a la jolie fille en culotte blanche. Elle se prenomme Carmela. Elle est en fait la s?ur de Paco et ne semble maquee avec aucun des lascars ici presents. Elle me raconte brievement sa vie. Debarquee du Perou avec une partie de sa famille dans la Ville eternelle, elle a trouve un job a l'ATAC, la societe des transports romains. Son travail, c'est de nettoyer les bus et les trams qui partent de la piazza Mancini, au nord de la ville et se dispersent un peu partout dans la cite.
La nuit s'avancant, la jeune femme se propose de me raccompagner a mon hotel sur son scooter, un Piaggio plus delabre qu'un couscoussier de Touareg en exil. Je monte derriere elle, accroche ma main gauche a son nichon et assure ma main droite sur le haut de sa cuisse, tandis que mon ami Popaul lui interprete « Un jeune tambour rapatapla » sur les miches. Elle pilote sa Vespa avec dexterite et emprunte la via Fracassini. Contrairement a ce que je pensais, Carmela ne ralentit pas devant l'hotel Ingrid. Au contraire, elle accelere et s'engage sur le Lungotevere Flaminio en direction du Stadio Olimpico.
— On a depasse mon
—
— Pourquoi ? Tes papiers ne sont pas en regle ?
— Si. Mais ils vont me prendre pour une pute.
La s?ur de Paco habite au c?ur du village olympique constitue d'immenses batisses en voie de clochardisation, perdues dans une espece de terrain vague qu'un promoteur peu scrupuleux nommerait jardin a la francaise. Ces immeubles destines a heberger les athletes des Jeux de Rome devaient tout juste etre salubres en 1960 lors de leur construction. Aujourd'hui, un tsigane bulgare ayant vecu en Roumanie sous Ceausescu les estimerait indignes d'y loger sa belle-mere.
Carmela juche sa becane sur son cale-pied et me fait signe de la suivre. Comme nous allons penetrer sous le porche sulfureux du batiment H2SO3, je remarque sur le parking la lueur d'un plafonnier s'eclairant brievement, cela signifie qu'un individu vient de sortir d'un vehicule en stationnement.
Nous escaladons les trois etages, pisseux et couverts de tags. Carmela me rend la monnaie de ma branlette en m'astiquant le zouave pontifical a travers mon benouze. Qu'a peine arrives dans son minable deux- pieces, je l'embroque tout debout. Elle se contente de lever tres haut l'une de ses cannes, comme les grues cendrees des documentaires de la Cinq certains dimanches apres-midi. La mignonne s'enquille presque aussitot un nouveau panard et nous basculons sur son paddock pour la suite du rodeo.
Cette fois, je lui sors le grand jeu, a la petite Peruvienne. Je lui interprete : le con d'or pas sage ! Nuit chauve sur l'Aconcagua ! Le Machu Picchu en folie ! Le grand Lama baveur ! Les vigognes sont de retour ! Lime a Lima ! Inca de bonheur ! Guano sur Callao ! Sans oublier bien sur Titicaca et Gros Minet ! Elle ne savait pas que ca existait des figures pareilles au niveau de la mer, ma Carmela. Sur les hauts-plateaux, on se contente de bouillaver a la respire-petit, vite fait sur La Paz.
On demeure un bon moment a reprendre notre souffle, la viande moite. La premiere, Carmela parvient a se lever. Un besoin de lave-pont tres legitime.
Comme c'est une fille de devoir, elle ramasse ma veste delabree par le tram et m'assure qu'elle va la nettoyer. Inutile de lui couper le zele, mais je sais que mon costard est bon pour la decharge.
Profitant de son absence, je me dis qu'il serait temps de reprendre le fil de mon enquete et d'en apprendre davantage sur la s?ur de Paco. Je trottine jusqu'a son sac pose sur la commode et deniche son passeport, une paperasse graisseuse de fille ayant beaucoup voyage sans jamais descendre au Sofitel ni au Hilton. J'apprends qu'elle se nomme Carmela Rodriguez, exerce la profession de danseuse et qu'elle est nee a Medellin, en Colombie. Pourquoi cette famille se fait-elle passer pour peruvienne ? A cause de la reputation de trafiquants de drogue qui colle a la peau des Colombiens ? Vois-tu une autre explication, toi qui es si baleze du cerveau ?
Je remise le passeport dans le sac et alors, figure-toi qu'il se passe un truc marrant. Grace a un jeu de glaces et a une porte mal fermee, j'entrevois Miss Colombie dans son cabinet de toilette. Elle s'occupe en effet de ma veste, mais en la fouillant. Elle a degage mon porte-lasagne de la poche interieure et en opere l'inventaire. Je suppose que la mome va me sucrer mes talbins. Un classique du genre. Eh bien, non ! Elle aussi, ce sont mes fafs qui l'interessent. Et plus particulierement ma breme de flic.