Je n'ai pas le temps de m'accorder d'autres reflexions. Un craquement du cote de l'entree me fait tourner la tete. Juste ce qu'il faut pour deguster un magistral coup de matraque sur le temporal. J'ai l'impression d'avoir percute un TGV lance a 300 a l'heure. Mes jambes se derobent sous mes roustons et le disque dur de mon ordinateur intime s'efface.
Lorsque je reconnecte a l'existence, il fait jour et je ne me trouve plus dans l'apparte merdique de Carmela. Je palpe ma calebombe pour m'assurer de la qualite de l'aubergine que je cultive sur la tempe gauche. Ce geste prouve ma liberte de mouvements. Je ne suis pas attache. Je cligne des yeux pour accoutumer ma retine au rayon de lumiere qui la frappe de plein fouet.
Cette eclaboussure de soleil provient d'un minuscule soupirail. Je suis allonge sur un bat-flanc dans une cave de deux metres sur deux. Je me jette sur mes pattes et lorgne par la petite imposte. Mon caveau est situe en contrebas d'un jardin fleuri et bien entretenu. Une petite allee cimentee passe tout pres de mon fenestron. J'apercois Diego, le mouflet d'hier soir, pedalant comme un fou sur un tricycle, suivi par une jeune femme enceinte jusqu'aux ouies. Les choses se remettent en place sous ma coiffe. Cette future accouchee au teint basane, c'est la mere du gamin et la femme de Paco-le-Balafre. Conclusion : c'est lui qui m'a fait exploser les meninges cette nuit et me retient prisonnier ce matin. J'etais chasseur, je suis devenu gibier en cage. Pas fameux pour l'ego et encore moins pour l'esperance de vie.
J'effectue quelques mouvements gymniques histoire de me decrasser les articulations. Je poireaute une paire d'heures avant que la porte de ma geole daigne s'ouvrir. Paco s'encadre dans le chambranle, un large sourire aux levres. Il ne brandit aucune arme et la premiere idee qui me vient, c'est de lui rentrer dans le chou sans amorcer le moindre dialogue. Seulement, sa tranquillite ne m'incite guere a l'exploit. Il a forcement blinde ses arrieres pour venir me narguer a main nue.
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— Pas trop mal au crane ?
— Juste ce qu'il faut. Le coup etait bien dose.
— Parfait. Mais avant tout, je tenais a vous rendre ca…
Il degage brusquement de sa poche mon arme de service dont il plaque le canon contre mon front. Je ne te vendrai pas de salade : j'en mene moins large que le delta du Nil. A vrai dire, mon troufignon serait capable de serrer un cil de libellule et d'empecher le pack des All Black de me l'arracher. J'ai vraiment le sentiment que le Balafre va me composter sans autre forme de proces. Son doigt se contracte sur la detente. Clic ! Ce petit bruit metallique resonne dans mon ame comme un chant gregorien.
Paco me rend mon pistolet en se marrant.
— Tenez, commissaire. Evidemment, je l'ai vide de ses balles.
— Bonne initiative, soupire-je en empochant l'arme.
— Il etait normal que je vous restitue votre pistolet car vous l'avez perdu en sauvant mon fils. Je l'ai ramasse sur la voie du tram.
— Je comprends. Intrigue par ce flingue, vous avez demande a votre s?ur Carmela de me pieger.
— Je ne pouvais pas agir autrement.
— Elle s'est parfaitement acquittee de son travail de pute.
Paco m'adresse un sourire glacial.
— Ma s?ur a agi sur mon ordre. Tout le monde m'obeit dans la famille. Carmela m'a affirme n'avoir jamais eprouve autant de plaisir, commissaire, si ca peut vous consoler.
— Me consoler de quoi ? Du fait que vous allez me buter ?
Paco pousse un interminable soupir.
— C'etait la solution logique. Seulement vous avez sauve Diego et le code d'honneur m'empeche de vous tuer. J'en ai pourtant eu la tentation, vous savez que les hommes cedent facilement a la facilite. Mais ma femme s'y est violemment opposee. Et vous savez egalement que les memes hommes se soumettent encore plus vite a la volonte de leur epouse.
— Ca signifie que… je suis libre ? questionne-je, sans grande conviction.
— Absolument. Vous allez rentrer en France et poursuivre votre enquete sur l'assassinat de Melanie Godemiche.
— Vous etes bien informe ! admire-je.
— C'est vital, dans mon metier.
On reste quelques instants a se regarder dans le blanc des yeux.
— Ici, vous faites fausse route, commissaire. Je ne suis pour rien dans le meurtre de cette fille, parole d'homme.
— Alors que faisiez-vous en Beauce, si loin de Rome, ce soir-la ?
Il n'hesite pas une seconde a me repondre :
— Mon travail.
— Le deal de coke ?
— Le deal ? Vous m'insultez ! Croyez-vous qu'un simple dealer pourrait s'offrir une baraque avec piscine en bordure de la Villa Glori, l'un des endroits les plus chers de Rome ? Et qu'il irait livrer quelques doses a Chartres ?
— Pardonnez-moi de vous avoir offense, mon pere ! le chambre-je. Mais vous etiez bien a Chartres le soir du meurtre et vous vous etes dispute avec la victime !
Paco caresse aimablement sa cicatrice.
— Nous avons eu en effet un petit differend. L'operation se chiffrait a trois millions et il manquait cinq cent mille. Pas de lires, bien sur, mais de francs.
— Et comme Melanie n'a pas pu payer, vous l'avez butee a titre de represailles.
Paco ne peut reprimer un geste d'agacement.
— Son cousin a regle le solde.
— Son cousin Nicolas ?
— Un grand pretentieux !
— Tout a fait lui. Vous feriez un excellent portraitiste…
— Il a paye cash.
Dans ma Ford interieure, je me dis que ce trouduc m'a mene en bateau comme un bleu avec ses airs de ne pas y toucher. Je ne regrette pas de lui avoir demanche les narines.
— Vous etes alors retourne en Italie ?
— A minuit, je franchissais le peage de St-Arnoult et au petit matin, a l'heure du crime, j'arrivais dans la banlieue de Pise. Vous m'excuserez de ne pas vous fournir de preuve, commissaire, mais je ne tiens pas une comptabilite detaillee de mes deplacements.
— A qui avez-vous telephone ce soir-la, au
— J'appelais un de mes collaborateurs pour lui indiquer que l'affaire etait terminee. C'est ce coup de fil qui m'a fait tomber ?
— Ca, et la perte de votre bonnet.
— Je l'ai offert a un petit gars debile qui avait flashe dessus. La generosite ne me reussit pas !
Le Balafre me fait signe de sortir de ma cage. Nous nous engageons le long d'un souterrain faiblement eclaire.
— Allez-y ! Vous etes libre. Je sais que vous ne me trahirez pas, commissaire. J'ai tout prevu… Voyez vous-meme.
Il me designe une porte plus fortement grillagee qu'une cellule de Cayenne. A travers les barreaux, je distingue une forme allongee sur un bat-flanc identique au mien. Paco actionne un commutateur electrique, la piece s'illumine me permettant d'identifier le prisonnier. Et la, je te jure que ma comprenette vacille. Le type en question n'est autre que mon fils.
— Antoine ! hurle-je, Antoine reponds-moi !
Mais il ne bronche pas. Je me retourne vers Paco, bien decide a lui defoncer le portrait. Il apaise mes