voisines, j’entendis la sirene d’un cauteriseur meca se reverberer sur la roche et la ceramique. Je m’adossai a la paroi et regardai longuement Johnny avant de murmurer :

— La guerre interstellaire… Les deux scenarios prevoient la guerre interstellaire ?

— Oui. Elle est incontournable.

— Il n’y a aucune chance pour qu’ils se trompent ?

— Aucune. Ce qui se passe sur Hyperion represente une enigme, mais les consequences sur le Retz et ailleurs sont on ne peut plus claires. Les Ultimistes se servent de cette certitude comme d’un argument de choc pour precipiter la prochaine phase de l’evolution du Centre.

— Et que disent de nous les dossiers derobes par BB, Johnny ?

Il sourit, me caressa un instant la main mais ne la garda pas dans la sienne.

— Ils indiquent que je fais partie des facteurs inconnus d’Hyperion. Le fait de creer un cybride de Keats a represente pour eux un terrible risque. Seul mon manque apparent d’efficacite en tant qu’analogue de Keats a incite les Stables a me conserver. Lorsque j’ai decide de me rendre sur Hyperion, les Volages m’ont assassine, avec l’intention tres claire de m’eliminer totalement en tant qu’IA si mon cybride decidait la meme chose une deuxieme fois.

— C’est ce qui s’est passe. Qu’ont-ils fait ?

— Ils ont echoue. Dans leur arrogance infinie, ceux du TechnoCentre ont neglige deux details. Le premier, c’est que j’avais la possibilite d’investir toute ma conscience dans mon cybride et de transformer ainsi la nature de l’analogue de Keats. Le deuxieme, c’est que je m’adresserais a toi.

— Moi ?

Il me prit la main.

— Oui, Brawne. Il semble que tu fasses aussi partie des inconnues d’Hyperion.

Je secouai la tete. Sentant, au meme instant, comme un fourmillement du cuir chevelu juste au-dessus et en arriere de l’oreille gauche, je portai la main a cet endroit, en m’attendant plus ou moins a y trouver des traces de la bagarre dans l’infoplan. Mes doigts rencontrerent la pastille de plastique d’une derivation neurale.

Je retirai vivement mon autre main de celle de Johnny et le regardai, saisie d’horreur. Il avait profite de mon inconscience pour me cabler !

Il ecarta les mains, les paumes vers moi.

— Je n’ai pas pu faire autrement, Brawne. Ce sera peut-etre indispensable pour notre survie a tous les deux.

Je serrai le poing.

— Sale fils de pute degenere ! Pourquoi est-ce que j’aurais besoin d’une interface directe ? Tu m’as menti, salaud !

— Ce n’est pas pour le Centre, me dit Johnny d’une voix douce. C’est pour moi.

— Pour toi ?

Mon poing vibrait du plaisir anticipe de s’ecraser sur sa belle gueule de clone.

— Pour toi ! repetai-je d’une voix amere. Tu oublies que tu es devenu humain !

— Je ne l’oublie pas. Mais certaines de mes fonctions cybrides demeurent. Tu te souviens du jour ou je t’ai pris la main pour te conduire dans l’infosphere ?

— Je ne retournerai pas dans ta foutue infosphere ! repliquai-je en le defiant du regard.

— Non. Et moi non plus. Mais il est possible que j’aie besoin de te transmettre une quantite fabuleuse de donnees en un temps tres court. Je t’ai conduite la nuit derniere chez une praticienne clandestine des Poisses.

— Pourquoi ?

— Elle t’a implante un disque de Schron.

Les boucles de Schron etaient de minuscules objets, de la taille d’un ongle, extremement couteux. Elles contenaient un tres grand nombre de memoires bulles dont chacune possedait une capacite de stockage quasi infinie. Elles ne pouvaient faire l’objet d’un acces de la part de leur porteur biologique, et servaient donc uniquement de boites aux lettres. Un homme ou une femme pouvaient, grace a ces boucles de Schron, transporter des personnalites IA ou une infosphere planetaire tout entiere. N’importe quel foutu chien pouvait faire la meme chose, d’ailleurs, pour autant que je le sache.

— Pourquoi ? repetai-je, soupconnant que Johnny se faisait manipuler par des forces obscures qui le forcaient a se servir de moi comme d’une boite aux lettres.

Il se rapprocha de moi et me prit le poing dans ses mains.

— Tu dois me faire confiance, Brawne.

Je ne crois pas que j’avais jamais fait confiance a qui que ce fut depuis l’epoque ou papa s’est fait sauter la cervelle, il y a vingt ans, et ou maman s’est egoistement retiree du monde. Je n’avais surtout aucune bonne raison de faire confiance a Johnny en ce moment.

J’ouvris cependant le poing et laissai ma main dans les siennes.

— C’est mieux comme ca, me dit-il. Finis de manger, maintenant. Nous allons travailler a sauver notre peau, si c’est possible.

Les armes et la drogue, c’etaient les deux choses les plus faciles a acheter dans la ruche des Poisses. Nous consacrames le reste des reserves considerables de marks de contrebande que possedait Johnny a nous armer.

Le soir venu, nous portions tous les deux un gilet de protection en polytitane renforce. Johnny avait un casque de goonda d’un noir reflechissant, et moi un masque de commandement des surplus de la Force. Les gants de force de Johnny etaient rouge vif et massifs. Je portais des gantelets a osmose a bordure coupante. Johnny avait achete un clap extro capture sur Bressia, et il avait passe un baton laser a sa ceinture. Pour ma part, en plus de l’automatique de mon pere, j’avais maintenant un Steiner-Ginn miniature monte sur un gyrosupport fixe a ma taille. Couple a mon viseur central, il me laissait les deux mains libres pendant son utilisation.

Nous nous regardames un bon moment avec tout cet attirail, puis nous eclatames de rire. Il y eut ensuite un long silence.

— Es-tu bien sur que le Temple gritchteque de Lusus soit notre meilleure chance ? lui demandai-je au moins pour la troisieme fois.

— Nous ne pouvons pas nous distransporter, m’expliqua Johnny. Le TechnoCentre n’aurait qu’a simuler une panne, et nous serions finis. Nous ne pouvons meme pas prendre un ascenseur pour gagner les niveaux inferieurs. Notre meilleure chance de rejoindre le Temple est de descendre directement l’avenue marchande.

— Mais est-ce que les gens du Temple voudront de nous ?

Il haussa les epaules, en un geste qui le faisait etrangement ressembler a un insecte dans sa carapace de combat. La voix qui sortit de son casque de goonda etait metallique.

— Ce sont les seuls qui aient un interet quelconque a nous voir survivre. Les seuls qui aient suffisamment de poids politique pour nous proteger de l’Hegemonie tout en organisant notre transfert sur Hyperion.

Je remontai ma visiere.

— Meina Gladstone m’a affirme qu’aucun pelerinage ne serait plus autorise sur Hyperion.

La surface polie du casque oscilla d’avant en arriere.

— Meina Gladstone peut aller se faire foutre, me dit mon poete d’amant.

Je respirai un grand coup et marchai jusqu’a l’entree de notre caverne, notre dernier sanctuaire. Johnny me rejoignit. Nos armures se frotterent.

— Prete, Brawne ?

J’acquiescai d’un hochement de tete, mis le Steiner-Ginn miniature en position sur son pivot et me preparai a sortir. Johnny me retint par la manche.

— Je t’aime, Brawne.

Je hochai de nouveau la tete, toujours coriace. J’oubliais simplement que ma visiere etait toujours levee et qu’il pouvait voir mes larmes.

Le Rucher est en activite vingt-huit heures sur vingt-huit. Par tradition, cependant, la troisieme faction est la plus tranquille, celle ou les gens se deplacent le moins quand ils n’y sont pas obliges. Nous aurions eu de meilleures chances pendant les heures de pointe de la premiere faction, ou les couloirs des pietons sont

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