definitivement fini si vous ne vous excusez pas. Redressez le volant et roulez droit. Mais cela peut attendre demain. Pourquoi ne rentrez-vous pas chez vous pour reflechir a tout ca la tete sobre ?
— Ma tete est parfaitement sobre, ma chere, lui dis-je en souriant. Elle n’a jamais ete aussi sobre depuis huit ans. Mais j’avoue qu’il m’a fallu quelque temps pour me rendre compte qu’il n’y avait pas que moi qui ecrivais de la merde. Cette annee, il n’y a pas eu un seul livre publie dans tout le Retz qui ne soit pas une crotte integrale. Alors, je quitte le radeau.
Tyrena se leva. Pour la premiere fois, je remarquai qu’a son ceinturon imitant ceux de la Force pendait un baton de la mort. J’esperais qu’il etait factice comme tout le reste de son costume.
— Ecoutez-moi bien, espece d’ecrivaillon a la ligne, ecuma-t-elle. Vous appartenez a Transverse depuis les couilles jusqu’aux oreilles. Si vous persistez a vous montrer recalcitrant, nous vous ferons bosser dans notre usine de romans roses sous le pseudonyme de Zezette Lacaille. Et maintenant, fichez-moi le camp d’ici. Dessoulez-vous la gueule et mettez-vous au travail sur
Je secouai la tete en souriant calmement. Ses pupilles se retrecirent alors legerement.
— Vous nous devez encore pres d’un million de marks sur vos avances, dit-elle. Un seul mot de ma part au contentieux, et nous faisons saisir chaque foutue piece de votre maison, excepte le putain de radeau qui vous sert de chiottes. Vous pourrez y rester jusqu’a ce que l’ocean se remplisse de votre merde.
Je me mis a rire, pour la derniere fois.
— Il y a un systeme de traitement chimique, lui dis-je. De plus, j’ai vendu la maison hier. Le cheque de remboursement du reliquat de l’avance a du vous parvenir.
Tyrena effleura de la main le manche en plastique de son baton de la mort.
— Transverse a rachete les droits du concept de la Terre qui meurt, comme vous le savez. Quelqu’un d’autre ecrira la serie a votre place.
— Je lui souhaite bien du plaisir, fis-je en inclinant la tete.
Quelque chose avait change dans la voix de mon editrice quand elle s’etait apercue que je ne plaisantais pas. Je compris qu’elle avait des avantages a tirer de ma collaboration future avec Transverse, mais je ne voyais pas lesquels.
— Je suis sure que nous pouvons arranger ca, Martin, murmura-t-elle. Je discutais, l’autre jour, avec le patron, et je lui disais justement que Transverse devrait augmenter vos a-valoir et vous laisser debuter une nouvelle serie…
— Tyrena, Tyrena, soupirai-je. Adieu.
Je me distransportai alors sur le Vecteur Renaissance, puis sur Parcimonie, ou j’embarquai a bord d’un vaisseau de spin pour gagner Asquith et le royaume surpeuple du roi Billy le Triste.
(Notes pour un portrait sommaire du roi Billy le Triste :)
Son Altesse Royale William XXIII, souverain du royaume de Windsor-en-Exil, ressemble un peu a une chandelle de suif humaine qui aurait sejourne un peu trop longtemps sur un poele trop chaud. Ses longs cheveux coulent en fins ruisseaux vers ses epaules molles tandis que les sillons de son front rejoignent, un peu plus bas, les rides qui entourent ses yeux de basset, pour continuer, a travers les plis et les replis de ses joues flasques, jusqu’au dedale tremblotant des fanons de son cou et de ses bajoues. On dit que, pour les anthropologues, Billy le Triste rappelle les poupees de chagrin de Kinshasa, tandis que pour les gnostiques zen il evoque le Bouddha de misericorde apres l’incendie du temple de Tai Zhin. Quant aux historiens des medias, ils courent, en le voyant, a leurs photos d’archives, pour verifier la ressemblance avec un ancien acteur de cinema bidim nomme Charles Laughton. Mais aucune de ces references n’a de signification pour moi. Plus je regarde Billy le Triste, plus je pense a la figure de mon ancien precepteur, don Balthazar, apres une cuite de huit jours.
La reputation de morosite du roi Billy le Triste est quelque peu exageree, me semble-t-il. Il rit assez souvent, en fait, mais il a le malheur, ce faisant, de secouer ses bajoues de telle maniere que la plupart des gens sont persuades qu’il sanglote.
On ne peut rien pour changer sa physionomie. Dans le cas de Son Altesse Royale, cependant, le personnage tout entier suggere soit le bouffon, soit la victime. Son costume, s’il est permis d’employer ce mot, frise perpetuellement l’anarchie et represente un veritable defi au sens du gout et des couleurs de ses serviteurs androides. Il y a des jours ou il jure non seulement avec son entourage, mais avec lui-meme. Et l’impression de chaos ne concerne pas que sa mise. Le roi Billy evolue dans une atmosphere de laisser-aller permanent. Sa braguette n’est jamais fermee, sa cape de velours est dechiree et balaie toutes les poussieres du sol. La ruche de sa manche gauche est deux fois plus longue que celle de sa manche droite, celle-ci donnant l’impression d’avoir ete plongee dans un bocal de confiture.
Je pense que vous voyez ca d’ici.
Malgre tout, le roi Billy le Triste possede un esprit intuitif et une passion pour les arts et la litterature qui n’ont pas ete egales depuis l’epoque authentique de la Renaissance sur l’Ancienne Terre.
Sous certains aspects, Billy le Triste est un enfant adipeux au visage eternellement colle contre la vitrine d’un marchand de bonbons. Il aime et apprecie en connaisseur la grande musique, mais est incapable d’en produire. Amateur de ballets et de toutes choses gracieuses, Son Altesse a la legerete d’un cornichon ambulant double d’une andouille comique. Lecteur passionne, critique de poesie au gout infaillible, amateur de rhetorique, le roi Billy allie un begaiement redhibitoire avec une timidite telle qu’il ne peut jamais se resoudre a montrer sa prose ou sa poesie a quiconque.
Celibataire toute sa vie, entrant dans sa soixantieme annee, le monarque habite un palais delabre et un royaume de cinq mille metres carres comme s’il s’agissait d’un autre de ses costumes royaux depenailles, et les anecdotes ne manquent pas sur sa legendaire distraction. Un jour, l’un des peintres auxquels il sert de mecene le croise en train de marcher la tete penchee en avant, les mains croisees dans le dos, un pied sur l’allee de gravier du jardin et l’autre dans la boue, visiblement perdu dans ses pensees. L’artiste interpelle respectueusement le roi. Celui-ci releve la tete en battant des paupieres, regarde autour de lui comme s’il sortait d’un long sommeil et demande au peintre meduse :
— Exc-c-c cusez-moi… Est-ce que j-j-j j’allais dans la d-d-d direction du p-p-p-p palais ou d-d-d-d dans l’autre ?
— Dans celle du palais, Majeste, repond l’artiste.
— Ah b-b-b bon, fait le roi. C’est d-d-d donc que j’ai d-d-d deja d-d-d dejeune.
Le general Horace Glennon-Height etait deja entre en rebellion, et le monde recule d’Asquith etait tout droit sur son chemin de conquete. Asquith ne se tourmentait pas outre mesure pour cela, l’Hegemonie ayant propose de faire bouclier avec une flottille de la Force. Mais le royal souverain du royaume de Monaco en exil semblait dans un etat de deliquescence adipeuse un peu plus avance qu’a l’accoutumee lorsqu’il me fit appeler pour me dire :
— M-M-M Martin, vous avez entendu p-p-p parler de la b-b-b bataille de F-F-F Fomalhaut ?
— Oui, repondis-je. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’inquieter, Majeste. Fomalhaut est exactement le genre de planete qui interesse Glennon-Height. Un monde de petite taille, pas plus de quelques milliers de colons, des richesses minieres, un deficit de temps d’au moins… Combien ? Vingt mois par rapport au Retz ?
— V-V-V Vingt-trois, fit le roi. Vous ne p-p-p pensez donc pas que nous soyons en d-d-d danger ?
— Pas du tout. Avec une duree de transit reel de trois semaines et un deficit de temps inferieur a un an, l’Hegemonie peut nous envoyer des renforts avant que le general ait le temps d’arriver de Fomalhaut avec ses vaisseaux de spin.
— Vous avez p-p-p peut-etre raison, fit le roi Billy en s’appuyant sur un globe qui se mit a tourner sous son poids et l’obligea a se redresser dans un sursaut. Mais, ne-ne… neanmoins, j’ai decide de pre-pre preparer notre modeste hegire.
Je battis des paupieres, surpris. Billy parlait depuis deux ans de demenager le royaume en exil, mais je n’avais jamais pense qu’il pouvait parler serieusement.
— Les vai-vai les vaisseaux sont prets sur Papa… sur Parvati, dit-il. Asquith a accepte de nous fou-fou… de nous preter les moyens de trans… de transport dont nous avons b-b-b besoin pour rejoindre le Retz.
— Mais votre palais, Majeste ? La bibliotheque ? Les dependances ?
— Cedes en echange, naturellement. Mais le contenu de la bi-bi… bliotheque partira avec nous.
Assis sur le bras du canape de crin, je me frottai plusieurs fois les joues. Depuis dix ans que je me trouvais