— Je ne te l’ai pas demandee.

— Vous l’avez quand meme. Je ne desire plus etre la Sorciere.

— Tu ne desires plus, gloussa Gaia avec apitoiement. Tu sais que ce n’est pas si simple. Toutefois, voila qui tombe bien : depuis quelque temps, je me tatais pour savoir si je ne devais pas supprimer ta charge. Mais la disparition des avantages annexes equivaudrait a une sentence de mort, aussi je ne me presse pas. Mais le fait est que, si tu te souviens des qualites mentionnees lors de ton engagement, tu n’as plus la taille de l’emploi depuis quelque temps.

— Ca ne me vexe meme pas. Le fait est que j’ai demissionne de ce boulot, avec prise d’effet immediate apres le prochain Carnaval d’Hyperion. D’ici la, je compte visiter tous les autres territoires titanides afin de…

— « Avec prise d’effet immediate !…» eclata Gaia, feignant la surprise. Non mais, ecoutez-la ! Qui aurait cru qu’en une journee j’aie droit a tant d’impudence ! » Elle rit, bientot suivie par quelques-uns de ses disciples. Cirocco regarda fixement l’un d’eux avec une insistance telle qu’il jugea preferable de disparaitre de sa vue. Entre-temps, le calme s’etait retabli et Gaia lui fit signe de poursuivre.

« Il n’y a pas grand-chose a ajouter. J’ai promis un Carnaval en souvenir et je tiendrai mon engagement. Mais ensuite, j’exige que vous etablissiez pour les Titanides un nouveau mode de reproduction qui sera soumis a mon approbation et teste sur une periode probatoire de dix ans, le temps que je puisse observer la nouvelle methode et en eliminer les pieges eventuels.

— Tu es exigeante », nota Gaia. Elle pinca les levres.

« Je vais te dire, Cirocco : a cause de toi, je ne cesse de ressasser ce probleme. Franchement, je n’aurais jamais cru que tu aurais le culot de te pointer ici, apres tout ce que je viens d’apprendre. Que tu l’aies fait, parle pour toi : c’est bien la preuve des qualites que j’avais immediatement decelees en toi et qui m’avaient tout de suite incitee a te faire Sorciere. Si tu te rappelles, il y avait entre autres le courage, la perseverance, le gout de l’aventure et le sens de l’heroisme : toutes qualites qui t’ont fait tristement defaut. Je ne comptais pas te parler de mes recents atermoiements. Mais voila que tu rencheris avec ces exigences stupides et j’en viens a me demander si tu n’as pas perdu la raison.

— Je l’ai retrouvee. »

Gaia fronca les sourcils. « Mettons les choses au clair, veux-tu ? Nous savons l’une et l’autre de quoi nous voulons parler et je te concede avoir agi hativement. J’admets que j’ai eu une reaction excessive. Mais aussi, quelle stupidite de sa part ! Ce n’etait pas tres malin de se servir de ces deux enfants pour transmettre son message ; sans doute, dans son etat, ne pouvait-elle songer a tout ; mais le fait est que Ga…

— Ne prononcez pas son nom ! » Cirocco avait a peine hausse le ton mais Gaia s’etait immediatement tue et les premiers de son public reculerent instinctivement. « Ne prononcez plus jamais son nom en ma presence ! »

Contre toute attente, Gaia parut reellement surprise.

« Son nom ? Qu’est-ce que son nom a a voir la-dedans ? A moins que tu ne te sois prise au jeu de ta propre magie, je ne vois pas le rapport : un nom n’est qu’un son ; il n’a aucun pouvoir en soi.

— Je ne veux pas entendre son nom sortir de vos levres. »

Pour la premiere fois, Gaia eut l’air fachee.

« Je supporte pas mal de choses : j’ai tolere de recevoir, venant de toi et d’autres, des injures qu’aucun dieu ne voudrait endurer, parce que je ne vois pas l’interet d’assassiner les gens a longueur de temps. Mais tu mets ma patience a bout. Je te previens que cela suffit comme ca, et c’est mon dernier avertissement.

— Vous le supportez parce que vous adorez ca, contra Cirocco d’une voix egale. Pour vous, la vie est un jeu dont vous controlez les pieces. Meilleur est leur spectacle et plus vous l’appreciez. Vous avez tous ces gens qui sont prets a vous baiser le cul quand vous leur demandez. Et je vous insulterai si ca me chante.

— Mais eux aussi, repondit Gaia, souriant a nouveau. Et bien entendu, tu as raison. Voila qui prouve une nouvelle fois que lorsque tu le veux, tu sais offrir un spectacle meilleur que quiconque. » Elle attendit, croyant apparemment que Cirocco allait continuer. Cirocco ne dit rien. La tete appuyee contre le dossier de son siege, elle contemplait la-haut dans le lointain le fin ruban de lumiere rouge parfaitement rectiligne et acere comme le fil d’un rasoir.

C’etait la premiere chose qu’elle avait remarquee jadis lors de sa premiere visite au moyeu. Gaby etait alors a ses cotes et toutes deux s’etaient demande ce que c’etait mais le faisceau etait si loin au-dessus d’elles qu’a l’epoque la question leur avait paru oiseuse. Il etait definitivement inaccessible.

Mais deja, Cirocco avait pressenti son importance. C’etait une simple impression mais elle se fiait toujours a ses impressions. Quelque partie vitale de Gaia vivait tout la-haut, a l’extremite la plus inaccessible d’un monde coutumier des perspectives vertigineuses. De la ou elle etait assise, la distance depassait les vingt kilometres.

« J’aurais pense que tu serais interessee par ma reponse a tes requetes », finit par dire Gaia. Rabaissant la tete, Cirocco regarda de nouveau la deesse. Son visage restait aussi depourvu d’emotion qu’au moment de son arrivee.

« Ca ne m’interesse pas le moins du monde. Je vous ai dit ce que j’allais faire puis je vous ai dit ce que vous alliez faire. Il n’y a rien d’autre a dire.

— J’en doute. » Gaia la scruta attentivement. « Parce que c’est totalement impossible : tu dois le savoir et tu dois bien avoir quelque menace a brandir, bien que je ne parvienne pas a imaginer quoi. »

Cirocco se contenta de lui rendre son regard.

« Tu ne peux pas t’imaginer que je vais humblement t’accorder… bon, acceder a tes exigences, si tu preferes. Exigence ou requete, peu importe, la reponse est non. Maintenant, tu dois me dire ce que tu vas faire.

— La reponse est non ?

— C’est non.

— Alors, je dois vous tuer. »

Le silence etait a present total dans l’immensite du moyeu. Assembles en groupe informel derriere le siege de Gaia, plusieurs centaines d’humains restaient suspendus a leur moindre mot. C’etaient tous des gens peureux, sinon ils n’auraient pas ete la et la plupart devaient uniquement s’interroger sur la maniere dont Gaia allait se debarrasser de cette femme. Mais quelques-uns, en regardant Cirocco, commencaient a se demander s’ils avaient choisi le bon camp.

« Tu as vraiment completement perdu la raison. Tu ne disposes ni d’uranium, ni de plutonium, ni d’aucun moyen d’en obtenir. Je doute meme que tu puisses confectionner une arme a supposer que tu en aies. Et si tu pouvais elaborer un engin nucleaire grace a la magie que, semble-t-il, tu crois posseder, tu ne l’utiliserais pas car ca signifierait la destruction de ces Titanides pour lesquelles tu as tant d’affection. » Elle soupira encore et retourna negligemment une main. « Je n’ai jamais pretendu a l’immortalite. Je sais combien de temps il me reste a vivre. Je ne suis pas indestructible. Des bombes atomiques – en grande quantite et disposees avec precision – pourraient fragmenter mon corps ou du moins me rendre inhabitable. Cela mis a part, je ne vois rien qui puisse m’endommager serieusement. Alors, comment comptes-tu me tuer ?

— Avec mes mains nues, si necessaire.

— Quitte a mourir en essayant.

— Si les choses doivent en arriver la.

— Exactement. » Gaia ferma les yeux et ses levres bougerent en silence. Enfin, elle regarda de nouveau Cirocco :

« J’aurais du m’y attendre. Il te serait moins douloureux de disparaitre que de survivre apres ce qui est arrive. C’est effectivement ma faute, je l’admets, mais je n’ai pas envie de te voir disparaitre. Tu vaux largement tous ces gens-la, et meme plus.

— Je ne vaux rien du tout, a moins de faire ce que je dois faire.

— Cirocco, je m’excuse pour ce que j’ai fait. Attends, attends, ecoute-moi jusqu’au bout. Donne-moi cette chance. J’avais cru pouvoir dissimuler mes actes et j’ai eu tort. Tu ne nieras pas qu’elle complotait pour me renverser et que tu l’as aidee…

— Je ne regrette rien, sinon d’avoir trop attendu.

— Surement. C’est comprehensible. Je sais la profondeur de ton amertume et de ta haine. Mais tout cela est tellement inutile, puisque tous mes actes etaient plus commandes par l’orgueil que par la peur ; tu ne crois quand meme pas que j’allais serieusement m’inquieter de ses efforts derisoires pour…

— Attention a ce que vous dites sur elle. Je ne vous le repeterai pas.

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